Une "obligation de déconnexion" qui impose le respect du repos de certains cadres français, jusqu'alors obligés de regarder leurs mails professionnels en dehors des heures de travail : l'information a ravi les médias anglo-saxons. De nombreux sites britanniques et américains l'ont relayée, au point de sombrer dans la caricature et l'approximation.
De quoi s'agit-il ? D'abord, voici la vérité. Le 1er avril, la CFDT et la CGC ont signé un accord de branche avec le patronat des sociétés d'ingénierie et de conseil et des bureaux d'études, dont un passage prévoit cette obligation de déconnexion. L'objectif : respecter les onze heures de repos quotidien imposées par la loi pour les cadres dont le temps de travail est décompté au forfait jour. Une disposition qui concerne quelques centaines de milliers de salariés représentés par ces syndicats.
Le Guardian a mal lu. Sauf que sur le site du Guardian, un quotidien qui fait pourtant figure de référence dans la presse britannique, cette information s'est transformée en obligation pour tous les salariés d'éteindre leurs téléphones professionnels après 18 heures. L'article affirme également que cet accord affectera pas moins d'un million de Français.
Et le Guardian d'enchaîner les clichés. Après avoir soigneusement rappelé que le temps de travail en France n'était que de 35 heures par semaine, la chroniqueuse Lucy Mangan se fait ironique : "Les employés devront aussi résister à la tentation de consulter des documents professionnels sur leurs téléphones ou smartphones, ou à n'importe quelle autre intrusion malveillante dans le temps qu'ils sont nationalement tenus de consacrer à tout ce que les Français appellent la dolce vita", écrit-elle, faisant au passage peu de cas de la différence entre le français et l'italien.
Des reprises sans vérification. D'autres médias se sont engouffrés dans la brèche. "Les travailleurs français ont maintenant le droit légal de ne pas être contactés après avoir quitté le bureau", titre le quotidien britannique The Independent. "Les Français tenus d'ignorer leur patron après 18 heures", renchérit son confrère The Times. "Pas de mails professionnels après 18h s'il vous plaît, nous somme français", s'amuse le site spécialisé américain Engadget.
Difficile de savoir d'où sort la fameuse heure limite de "18 heures", reprise en boucle sur de nombreux sites, mais mentionnée nulle part dans le texte de l'accord. Ni l'interdiction de consulter ses messages pros à distance, l'accord prévoyant seulement le respect d'un temps minimal de repos, dont l'aménagement est laissé à la discrétion de l'employeur, et qui va faire l'objet de négociations dans chaque entreprise concernée. Les journalistes anglo-saxons sont pourtant prompts à donner des leçons de rigueur à leurs confrères français, comme l'a dernièrement montré l'affaire Hollande-Gayet. The Guardian avait lui-même pointé "l'indéniable déférence" des journalistes français lorsqu'il s'agissait d'interroger le président de la République. Mais cette fois, la tentation du French bashing a été plus forte. "Ça semblait trop beau pour ne pas être vrai", soupire le Wall Street Journal
qui, lui, a pris le soin de vérifier l'information.