A quelques jours de l’élection présidentielle, l’opposition au président Wade ne faiblit pas.
L’heure n’est pas à l’apaisement au Sénégal. Loin de là. Depuis la validation de la candidature d’Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle, le 27 janvier, les manifestations de masse se multiplient à Dakar, la capitale. Six personnes ont trouvé la mort et des dizaines ont été blessées lors d’affrontements avec la police. Le printemps arabe est-il pour autant en passe de devenir sénégalais ? Manifestations interdites, pouvoir contesté, répression etc. A première vue, tous les ingrédients semblent réunis. Mais en apparence seulement.
"Il est certain que l’image de la place Tahrir est présente (au Caire, en Égypte NDLR)", note Philippe Hugon, directeur de recherches à l’Institut de Relations internationales et Stratégiques (IRIS). "Ceci étant, les conditions ne sont pas exactement les mêmes. Ce que nous avons au Sénégal, c’est un problème de légitimité du président Wade et le refus de l’opposition qu’il se présente", ajoute ce spécialiste de l’Afrique.
"Il n’est pas sérieux de parler d’une quelconque contagion", souligne également Blondin Cissé, docteur en Science politique et chercheur associé au Centre de Sociologie des Pratiques et des Représentations Politiques. "Depuis la victoire d’Abdoulaye Wade en 2007, les conditions de vie des Sénégalais se sont dégradées au point que les confréries, qui ont toujours été des facteurs d’apaisement, sont devenues inaudibles. La population, spoliée, démoralisée a senti la nécessité d’aller à la confrontation face au projet d’évolution monarchique du pouvoir. Ça ne pouvait pas manquer d’arriver", précise-t-il.
"Wade dégage !" comme mot d'ordre
Car la colère gronde depuis plusieurs mois au Sénégal. Tout commence le 23 juin 2011. Abdoulaye Wade tente alors de faire passer une loi pour instaurer une vice-présidence, une sorte de "ticket présidentiel". "Les gens ont senti qu'il y avait un projet de dévolution monarchique du pouvoir. Si cette loi était passée à l'Assemblée, le président aurait pu être élu avec 25% des voix seulement. Sans compter qu'en 2002, Abdoulaye Wade avait dit "je ne ferai que deux mandats et ensuite je partirai". La population s'est donc levée contre ces tripatouillages et s'est rassemblée au sein d'un mouvement que l'on appelle le M23. Depuis, la tension ne cesse de s'accentuer", note Blondin Cissé.
Aujourd'hui, le Mouvement du 23 juin est devenu le fer de lance de la contestation qui fédère une soixantaine de partis et d'organisations de la société civile. Leur mot d'ordre est simple : "Wade dégage !". Ironie de l'histoire, c'est donc la jeunesse, à l'origine du succès de Wade en 2000, qui conteste aujourd'hui son pouvoir. Après douze ans passés à la tête de l’Etat, le président sortant, officiellement âgé de 85 ans, entend briguer un nouveau mandat. Le mandat de trop pour une population dont 57% a moins de 20 ans.
Un chômage de masse
"Le Sénégal, comme beaucoup de pays africains a un nombre très important de diplômés chômeurs. Le taux de chômage dans les villes est de l’ordre de 50%", explique Philippe Hugon. "Vous avez également la question de la Casamance qui n’a pas été réglée. Il y a encore beaucoup de violences dans cette région du Sud. Wade, pas plus que ses prédécesseurs, n’est parvenu à régler cette question", insiste le directeur de recherches à l'IRIS.
En s'accrochant encore un peu plus au pouvoir, le vieux lion Wade cristallise le mécontentement d'une jeunesse "déterminée à prendre son avenir en main", insiste Blondin Cissé. "Maintenant, elle n'a plus peur de mourir", s'inquiète le spécialiste.
Pour l'instant, Abdoulaye Wade semble bien décidé à aller jusqu'au scrutin du 26 février. "Son côté mégalomaniaque fait qu’il considère qu’il a une mission que lui seul peut réaliser. Il pense qu'il est le sauveur du Sénégal", souligne Philippe Hugon. "Abdoulaye Wade est imprévisible. L'un de ses adversaires dit de lui "il clignote à gauche et vire à droite". Il aurait même déjà souhaité se retirer, selon des bruits de couloir. Mais, il a énormément de comptes à rendre. Il y a eu des détournements de fonds inimaginables sous sa présidence. Son entourage a insisté pour qu'il se maintienne. Là, il est trop tard pour qu'il revienne en arrière", conclut Blondin Cissé.