L'INFO. Plus qu'une semaine avant le grand référendum de la Crimée. Les quelque deux millions d'habitants de la péninsule vont se prononcer le 16 mars sur leur rattachement à la Russie, alors que Moscou contrôle déjà de facto la région. Kiev et ses soutiens refusent l'organisation de ce vote, qu'ils considèrent illégitime. La Russie a-t-elle risqué une guerre seulement pour 27.160 km² de terre ?
Pour les bases militaires ? Les bâtiments navals de Moscou sont installés à Sébastopol, la deuxième ville de Crimée. "Avec la Crimée, la Russie s'assure un accès à la Méditerrannée", explique à Europe 1 Irina Dmytrychyn, maître de conférences à l’Inalco et responsable de la section ukrainienne. Avec l'éviction de l'ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch, les Russes s'inquiètent pour leur bail de la base navale de Sébastopol qui court théoriquement jusqu'en 2042. La chercheuse rappelle que cet accès à la Méditerranée importe plus à la Russie qu'à l'Ukraine, qui n'a pas particulièrement l'intention de jouer un rôle sur la scène internationale. Tandis que la Russie doit pouvoir envoyer ses navires vers la Syrie s'il le faut.
Pour un détroit ? "Il y a toujours eu une focalisation sur les zones de passage et sur le fait d’éviter de se retrouver enfermé" pour la Russie, explique Sabine Dullin, professeur à l'université Lille 3, auteur d'une histoire de l'URSS, pour Europe 1. "C’est une approche géopolitique ancienne, mais qui est toujours dans la culture politique russe". Depuis longtemps, le détroit de Kertch -entre la Crimée et le Caucase russe- a été source de conflit. En 2003, rappelait Libération, les deux pays se battent concernant l’île de Touzla, au beau milieu du détroit. Seul la partie occidentale du détroit, avec seulement huit mètres de fond, est navigable. Posséder l'île de Touzla, un lopin de 3,5 km2, permet donc à la Russie de prétendre pouvoir naviguer de la mer d'Azov à la mer Noire.
Si la Crimée passe à la Russie, Moscou aura imposé ses visées sur le détroit de Kertch, par lequel ne transitent pourtant que peu de bateaux.
En mer Noire, le véritable détroit à enjeu est le Bosphore. La Crimée n'est qu'un symbole, car rien ne sert de pouvoir passer de la mer d'Azov à la mer Noire si c'est pour y rester bloqué ensuite. Et rien ne laisse imaginer que la Russie pousse ses velléités impérialistes jusqu'à la Turquie.
Pour les touristes ? La Crimée, villégiature reconnue en mer Noire, survit grâce au tourisme. "La région est attrayante et a un potentiel de tourisme", selon Sabine Dullin. Mais sur ce terrain, c’est surtout la Crimée elle-même, qu’elle soit ukrainienne ou russe, qui a beaucoup à perdre du référendum. La chercheuse de l’Inalco prend l’exemple de la ville de Gagra, ancienne station balnéaire qui a perdu toute attractivité après la guerre de Géorgie en 2008. "Depuis, la région n’a pas récupéré son niveau de tourisme". Selon la chercheuse, "personne ne voudra aller dans une région dangereuse et manifestement hostile aux Ukrainiens".
Pour les hydrocarbures ? La mer Noire recèle de gaz et de pétrole, dont certains gisements sont en cours d’exploration. Depuis le début des troubles en Crimée, Exxon et Shell ont suspendu un partenariat avec l’Ukraine pour l’exploration d’un gisement offshore au large de la Crimée. Gênant pour Kiev, mais pas essentiel pour la Russie. Une fois que la Russie aura épuisé ses gisements terrestres, ceux de la Caspienne puis ceux d'Arctique, la mer Noire deviendra peut-être un enjeu énergétique pour elle. Mais pas avant.
Pour des dettes ? "La Crimée est un gouffre financier pour l’Ukraine", souligne Irina Dmytrychyn. La péninsule dépend totalement de Kiev pour son approvisionnement en eau. Son énergie vient également à 80% du reste du pays. Et Kiev assure 60% de son budget. Peu importe la situation économique catastrophique pour la Russie, la Crimée est surtout un symbole géopolitique.
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