"Plus cet accord est connu, plus il a d’opposants". Cet accord contre lequel s’insurge l’eurodéputée socialiste Françoise Castex, c’est l’Acta, un traité international anticontrefaçon qui a fait descendre des milliers de manifestants dans les rues en Europe samedi. Ses opposants reprochent au traité de menacer la liberté sur Internet, dans ses dispositions sur le téléchargement illégal. "On est borderline avec la législation", pointe Françoise Castex, qui manifestait samedi à Toulouse. Mais que dit vraiment l’Acta ? Europe1.fr décrypte les grandes lignes du texte.
Ce traité commercial vise à la fois la contrefaçon de produits et le téléchargement illégal sur Internet. Il a été négocié dans le plus grand secret pendant trois ans par des représentants des ministères de l’Economie de 22 pays de l’Union européenne, les Etats-Unis, et neuf autres pays développés. Signé le 26 janvier dernier, il doit maintenant être ratifié par le Parlement européen, un processus qui prendra plusieurs mois : cinq commissions parlementaires doivent se prononcer avant de transmettre leurs conclusions en plénière aux députés.
D’après l’article 27.4, les signataires peuvent ainsi prévoir d’ "ordonner à un fournisseur de services en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit [d’auteur] des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné" ayant téléchargé illégalement. Pour cela, le "détenteur du droit" doit avoir "présenté des allégations suffisantes sur le plan juridique". La commission européenne affirme que l’Acta est basé sur le "respect des droits fondamentaux comme la vie privée, la liberté d’expression et la protection des données".
"Neutralité du net"
Mais bon nombre d’internautes ne sont pas d’accord. L’Acta donne "les mêmes outils pour lutter contre des usines de contrefaçon et contre le piratage", explique Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du net, une organisation de défense des droits des internautes. L’un des articles de l’accord est entièrement consacré à la propriété intellectuelle sur Internet. "On va demander à ce que ça soit les fournisseurs d’accès à Internet qui fassent la police eux-mêmes", commente Jérémie Zimmermann, fermement opposé au texte.
En clair, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les ayant-droits pourront passer des accords pour détecter et poursuivre les personnes téléchargeant illégalement. "Cela ne peut vouloir dire que blocage, filtrage ou effacement", note Jérémie Zimmermann. Et l’accord prévoit des sanctions pénales qui font peser une pression sur les FAI.
"C’est un outil qui permet de faire le caïd pour les industries du divertissement", dénonce Jérémie Zimmermann. En clair, selon lui, "un opérateur n’aura plus d’autre choix, quand Vivendi l’appellera pour bloquer ou filtrer un site, de s’exécuter, sous peine d’être menacé d’un procès". Pour Françoise Castex, "on en arrive à des mesures qui portent atteinte à la neutralité du net", en incriminant les FAI. La députée européenne fustige également des "intrusions dans la vie privée des gens".
Inquiétudes sur les médicaments génériques
La lutte contre le piratage n’est pas la seule disposition qui fâche : "le volet concernant les médicaments est tout aussi problématique", affirme, sur le site France TV Info, l’eurodéputée EELV Sandrine Bélier. Car l’Acta permettrait également aux "multinationales pharmaceutiques" de "demander aux douanes de saisir des médicaments génériques qui utiliseraient des produits semblables aux leurs".
La forme de l’Acta a aussi fait l’objet de critiques virulentes. "C’est un machin opaque, dans un petit club de pays qui pensent pareil", pour Jérémie Zimmermann. Le manque de transparence des négociations, avant la signature du traité, a été tellement décrié que l’Union européenne a fini par publier sur Internet un document détaillant les circonstances des négociations.
"Indignation des hackers"
L’Allemagne a de son côté annoncé, vendredi, qu’elle suspendait pour le moment la ratification du traité, tout comme la Pologne et la République tchèque. Le président du Parlement européen lui-même a dit tout le mal qu’il pensait de l’Acta, affirmant qu’il le trouvait "déséquilibré" et "pas bon dans sa forme actuelle".
En Europe, la contestation monte et "s’articule parfaitement avec la levée de boucliers contre Sopa et Pipa", deux projets de lois américains antipiratage, note Jérémie Zimmermann, témoin d’une "forme d’indignation des hackers". En janvier, le mouvement de protestation contre ces deux textes avait agité le web. Et obtenu des résultats : l’examen des textes a été reporté.