Depuis près de quatre mois, un conflit étudiant secoue le Québec. Au départ contre la hausse des frais de scolarité, de nombreux manifestants ont rejoint les universitaires pour protester contre une loi spéciale adoptée récemment par le gouvernement pour restreindre la liberté de manifester. Le mouvement se radicalise avec un nombre croissant d’arrestations et de blessés. Pourquoi le "printemps érable" donne-t-il lieu à autant de débordements ? Europe1.fr fait le point.
Quelle est la situation ? Dans la nuit de mercredi à jeudi, près de 700 manifestants ont été arrêtés au Québec. C'était la première fois que les forces de l'ordre procédaient à une "arrestation de groupe" aussi massive dans la province canadienne.
Printemps érable : la violence monte à Montréal j.mp/KetkL3 / ça vire à la répression de la place Tarhir dans la belle province— Lennie N. (@LNicollet) Mai 23, 2012
Une répression à l'américaine. Les policiers ont vu au fur et à mesure du mouvement leur tâche se compliquer, car ils ne sont pas préparés à de telles manifestations comme l’a expliqué à Europe1.fr Stéphane Berthomet, un Français vivant au Québec et spécialiste police-justice. Car c’est la première fois que les forces de l’ordre sont confrontées à un mouvement social de cette ampleur, mené par des jeunes étudiants - et non des casseurs - mais auquel se greffent de violents éléments, détaille-t-il.
Les policiers utilisent les "méthodes américaines, avec une logique de moyens lourds : à cheval et casqués, armés de gaz lacrymogènes et de matraques", plus appropriées pour des émeutes, explique-t-il. "Ce sont des moyens beaucoup trop brusques par rapport aux gens qu’ils ont en face d’eux. On a l’impression qu’au Canada, les forces de l’ordre ne font pas de différence entre casseurs et manifestants", souligne le Français.
Pour Stéphane Berthomet, "ce sont des procédés qui sont totalement en inadéquation. C’est un cercle vicieux : il y a une incompréhension de la nature du mouvement, un manque de discernement clair et d’adaptation des moyens".
Quant aux manifestants arrêtés à Montréal, ils ont été menottés, les mains dans le dos, et ont passé plus de quatre heures dans des bus, avant de recevoir une amende de 634 dollars. Peu importe leur action dans la manifestation. Aucune différence de traitement. Mais tous ont été relâchés jeudi matin.
Des forces de l’ordre trop violentes ? "Tout comme les Québécois, j’ai été moi-même choqué par les violences policières", a confié Stéphane Berthomet. Car, explique-t-il, "quand les manifestants s’approchent trop, les policiers n’hésitent pas et matraquent tout le monde, même les citoyens lambda qui se sont retrouvés dans les manifestations par hasard". "Leurs équipes d’interventions ne vont pas dans le détail et attisent la situation", commente le Français qui parle d’"incompréhension totale".
Pire encore, il y a énormément de dérapages individuels de policiers. C’est le cas notamment d’une policière matricule 728 dont les images ont fait le tour du Net. "Elle a eu un mauvais geste en gazant des manifestants qui l’ont harcelé verbalement", explique Stéphane Berthomet.
Regardez comment a réagi le matricule 728 :
Les dérapages ne sont "jamais sanctionnées", déplore-t-il. "Les responsables des forces de l’ordre communiquent mal", juge le français qui explique qu’ils défendent leurs troupes et ne font pas état de sanction vers les policiers qui dérapent. Conséquence : "les Canadiens sont outrés de voir que les policiers se permettent de frapper les citoyens et qu’il n’y ait pas d’enquête ensuite", s’insurge Stéphane Berthomet.
Un retour à l’ordre est-il possible ? Stéphane Berthomet estime que la meilleure solution serait que la "police agisse de façon plus pondérée et essaye de mieux comprendre" la mobilisation et qui manifeste. En résumé, le spécialiste police-justice juge que la meilleure solution pour le Québec serait de suivre l’exemple de la France.
Dans l’Hexagone, les policiers sont préparés à de telles manifestations de fond. "C’est le fruit de l’expérience. Depuis mai 1968, les manifestations n'ont pas cessé", justifie ce spécialiste police-justice. Gendarmes, policiers, CRS n’interviennent pas indépendamment mais en groupe, répondant aux ordres de leur hiérarchie.
D’autre part, juge Stéphane Berthomet, les autorités devraient commencer par identifier les casseurs, conseille-t-il. En France, des unités d’interventions sont "envoyées en civil au sein des manifestations pour arrêter les casseurs directement", rappelle-t-il. Des photographies sont même prises durant les défilés pour repérer ceux qui perturbent le mouvement, ce qui permet de procéder à des interpellations deux jours après l’action des casseurs. Enfin, plaide Stéphane Berthomet, comme en France, "les Canadiens devraient procéder à des poursuites judiciaires sur les casseurs".
Reste que pour améliorer le maintien de l’ordre, la police de Montréal a décidé de jouer la transparence et détaille son action en direct sur son compte Twitter. Le chargé de communication des policiers en profite aussi pour répondre aux questions des Internautes, rapprochant ainsi un peu les citoyens des forces de l’ordre.
Nous procédons à l'arrestation d'un groupe de gens au coin de Mansfield et Ste-Catherine. #manifencours— Police Montréal (@SPVM) Mai 23, 2012