En cédant face à la rue, Blaise Compaoré a tourné une page de l'histoire du Burkina Faso. Une page longue de 27 ans, trois décennies où l'indéboulonnable président a gardé la mainmise sur le pouvoir dans un simulacre de démocratie. Depuis sa démission donnée vendredi, le Burkina Faso, "pays des hommes intègres", espère retrouver sa liberté. Pour l'instant, c'est le chef d'état-major des armées, Honoré Traoré, qui assure l'intérim dans l'attente d'élections. Avec lui, quel futur se dessine pour le pays ?
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>> La crainte d'un coup d'état militaire
La déception des manifestants. Réunis place de la Nation, les dizaines de milliers de manifestants qui fêtaient le départ de Blaise Compaoré ont fait la grimace quand ils ont appris qui allait lui succéder. "Les manifestants étaient déçus de l'attitude de l'armée", nous explique Pierre Marezco, correspondant sur place pour Europe 1 et Vice.com. La raison de cette amertume : Honoré Traoré avait été nommé à la tête de l'institution militaire par l'ancien président en avril 2011, en récompense de sa gestion de la révolte survenue cette année-là dans le pays. "Il est considéré comme très proche de l'ancien président" explique Ladji Bama, rédacteur en chef du Reporter, un journal burkinabè.
Aucune raison constitutionnelle à cette prise de pouvoir. Une proximité qui explique que des centaines de manifestants continuent de se réunir devant le siège de l'état-major pour réclamer un autre président. Le général Traoré n'a en effet aucun droit constitutionnel à reprendre le pouvoir, comme l'explique Ladji Bama qui ajoute : "la constitution prévoit que le président de l'Assemblée assure l'intérim, en aucun cas le chef des armées!".
Un président par défaut. "Dans ce genre de moments, on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de risque de coup d'état militaire", prévient le journaliste, qui demeure pourtant confiant. "Les partis marquent Traoré à la culotte, il ne fait pas l'unanimité mais si l'opposition l'a laissé prendre le pouvoir c'est qu'ils ont l'assurance qu'il ne va rien tenter". Une analyse partagée par Justin Yarga, journaliste pour la chaîne de télévision Burkina 24. "L'armée n'a aucune légitimité, elle s'est tenue à l'écart de la révolte. C'est le peuple qui s'est révolté, pas elle. Les militaires se sont impliqués trop tard pour réclamer la paternité de cette révolte". Ladji Bama résume bien la situation : "Finalement, c'est peut-être l'idéal d'avoir un président par défaut pour l'instant, qui permette d'apaiser la situation sans faire pour autant l'unanimité." Les craintes des manifestants sont un peu plus nourries depuis par l'annonce de la suspension de la Constitution par un groupe d'officiers de l'armée. Une annonce qui vient contredire celle du général Traoré qui avait dit assumer la continuité du pouvoir, et qui entretient le flou sur la situation actuelle au Burkina Faso.
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>> Les divisions au sein de l'opposition
Les partis s'apprêtent à la bagarre politique. Unis contre Blaise Compaoré, les partis d'opposition vont-ils garder les rangs aussi serrés maintenant que leur ennemi commun est tombé ? La réponse est évidemment "non" pour Justin Yarga. "Ce sont des alliés de circonstance, les partis étaient unis face à Compaoré. Même si ce n'est pas encore visible, les luttes entre les principaux leaders vont bientôt émerger." Parmi les figures potentiellement rassembleuses, celle du général en retraite Kouamé Lougué a émergé. "Au sein de la population, c'est sûr qu'il est largement soutenu. Il a beaucoup plu quand il était ministre de la Défense, mais je crois qu'il n'est pas dans la course au pouvoir," analyse Ladji Bama, qui conclut : "Ca se jouera entre les partis d'opposition". Parmi eux, deux sont particulièrement bien placés. L'UPC de Zéphirin Diabré, "le vrai chef de l'opposition" aux yeux du journaliste politique. Et le MPP, un nouveau parti, dont la popularité monte en flèche, "notamment chez les jeunes".
La société civile a un rôle à jouer. Au-delà des partis, de nombreuses associations et autres formations apolitiques ont émergé depuis le début de la contestation populaire. La plus connue s'appelle le Balai Citoyen, un mouvement lancé par deux jeunes musiciens, qui remporte l'adhésion des jeunes déçus de la classe politique. "Les partis vont leur faire les yeux doux pour s'attirer les votes de leurs sympathisants et profiter de leur capacité de mobilisation", prophétise Ladji Bama.
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>> Quel avenir pour Blaise Compaoré ?
Dernière question que le Burkina Faso ne se pose pas encore, celle de l'avenir de son ancien président. "On vient juste d'ouvrir une nouvelle page, donc on a autre chose à penser. Mais c'est vrai que le Burkina, le pays des hommes intègres, va vouloir punir Blaise Compaoré pour ses actes", affirme Justin Yarga. "En 27 ans, on a tous accumulé beaucoup de souvenirs d'assassinats et notamment celui du père de la nation, Thomas Sankara (assassiné avec la complicité de Blaise Compaoré lors de son accession au pouvoir en 1987)." Comme nombre de ses concitoyens, Ladji Bama est curieux de savoir où se trouve actuellement l'ancien président, qui serait en route pour le Ghana ou le Tchad. Mais pour lui, il y a plus important : "pour l'instant, le pays doit regarder vers l'avenir".