La Birmanie se découvre une scène politique inédite avec l'élection aux législatives de l'opposante Aung San Suu Kyi. Mais l'avenir de la "Dame" de Rangoun est désormais nécessairement empreint de compromis politiques, donc d'incertitudes.
Sur ses épaules reposent désormais les attentes de tout un peuple. Aung San Suu Kyi va devoir se muer en force de proposition et tenter d'apporter des solutions à la pauvreté. Elle sera attendue sur des questions cruciales comme l'aide aux paysans, l'allègement des taxes, la promotion des investissements. "Elle va se trouver dans une position délicate de cooptation du pouvoir qui, de son côté, se voit obligé de la coopter afin de légitimer le processus transitionnel en cours", explique Renaud Egreteau, de l'université de Hong Kong.
Un rôle de médiation avec les rebelles
Depuis que l'opposante a annoncé qu'elle se présentait, l'avenir de la "Dame" de Rangoun a fait l'objet de toutes les hypothèses. En janvier, Nay Zin Latt, un conseiller de la présidence, avait assuré qu'elle pourrait obtenir un poste "approprié", voire être "nommée au gouvernement". Mais aucun responsable n'a de nouveau évoqué cette éventualité. "Je n'ai aucune intention de quitter le Parlement après avoir tant lutté pour l'intégrer", a rétorqué, l'opposante birmane vendredi.
Des rumeurs ont aussi fait état d'un rôle de médiation entre le pouvoir et les groupes ethniques rebelles. Mais certains analystes soulignent combien les relations sont complexes, voire tendues, entre Aung San Suu Kyi et certains d'entre eux. Interrogée sur la possibilité d'un rôle de "conseiller spécial", la "Dame" de Rangoun ne l'a pas exclu. "Je n'ai pas besoin d'une fonction spéciale, mais si ça peut rendre mon travail plus efficace, pourquoi pas ?".
Le prochain chapitre reste donc à écrire. "Qu'elle soit ministre en charge d'un portefeuille frustrant ou simple députée, sa marge de manœuvre politique est de facto plus réduite que si elle était restée opposante sans attache", souligne Renaud Egreteau. Le temps est loin des années 2002-2003 où la prix Nobel de la paix, entre deux périodes de résidence surveillée, privilégiait l'affrontement direct avec les militaires. Beaucoup d'opposants le lui avaient reproché, la jugeant responsable d'une forme d'impasse. Mais depuis un an, la situation politique a bien évolué.
Préparer l'après
D'abord, le généralissime Than Shwe, chef de la junte qui en avait fait son ennemie intime, a pris sa retraite. Ensuite, la nouvelle génération est mieux disposée à son égard sans pour autant lui offrir un blanc-seing. "Elle sera sujette à un certain nombre de contraintes", relève Trevor Wilson, ex-ambassadeur australien. "Elle ne pourra pas adopter une posture très révolutionnaire. Elle devra, d'une certaine façon, être pragmatique".
Aung San Suu Kyi sera-t-elle prise au piège, avec quelques amis de son parti, dans une Assemblée verrouillée par les militaires et leurs alliés ? Le diplomate à la retraite n'en croit rien, mais souligne qu'elle aura besoin de soutien au Parlement. "Les représentants de l'armée pourraient ne pas s'opposer à ce qu'elle et la LND (Ligue nationale pour le démocratie) proposent, s'il existe derrière un soutien populaire", précise Trevor Wilson. Son statut n'aura néanmoins plus rien à voir avec la combattante muselée, seule face aux généraux, qui a tant ému l'Occident.
"Elle a l'occasion (...) de bâtir un véritable parti d'opposition" et de rajeunir la LND, explique Thitinan Pongsudhirak, de l'université Chulalongkorn de Bangkok. Peut-être même doit-elle déjà préparer l'après Aung San Suu Kyi. "Aucune démocratie ne peut se construire autour d'une seule personne", ajoute-t-il. "L'attention doit se tourner non plus vers elle, mais ses partisans, ses nouveaux lieutenants, son parti et les autres institutions démocratiques birmanes, y compris le parti au pouvoir et le régime actuel".