A un mois de la présidentielle, un bras de fer s'est amorcé samedi au Sénégal après une nuit de violences survenues après la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade et de l'invalidation du chanteur populaire Youssou Ndour. L'opposition a lancé samedi un appel à "la résistance" contre le président sénégalais en place.
Des "manifestations d'humeur" pour Wade
Que sait-on des violences qui ont éclaté dans le pays ? Des jeunes érigeant des barricades, brûlant des pneus et des planches sur plusieurs artères de Dakar, des échanges de projectiles et gaz lacrymogènes entre manifestants et forces de l'ordre… voilà les images diffusées par les télévisions privées au Sénégal. La vague de violences, survenue vendredi, s’est soldée par la mort d’un policier à Dakar. Les autorités disent ignorer s'il y a eu d'autres victimes. Selon un témoin, un poste de police de la ville de Kaolack, dans le centre, a été mis à sac et selon la radio publique, l'antenne locale du Parti démocratique sénégalais (PDS), la formation de Wade, a été détruite par les flammes.
Selon plusieurs médias locaux, les manifestations violentes ont touché plusieurs villes de provinces, dont Thiès (ouest), Kaolack (centre-ouest), Matam (nord), mais également Diourbel (centre), Tambacounda (est). Les troubles semblaient avoir cessé avant l'aube de samedi. Abdoulaye Wade a pris la parole à la télévision pour appeler les manifestants au calme. Il a demandé à ses opposants d'arrêter "les manifestations d'humeur qui ne conduisent à rien", les accusant de contester la validité de sa candidature "sur des bases légères".
Pourquoi cette vague de violences à l’annonce de la candidature de Wade ? Les adversaires du président sénégalais contestent la légitimité du président sortant, au pouvoir depuis 2000, à se présenter. La Constitution interdit en effet plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Or, après sa réélection en 2007, Abdoulaye Wade entend à nouveau briguer sa propre succession le 26 février prochain. S’il était réélu, ce serait alors son troisième mandat.
En guise de parade à l’argument anticonstitutionnel, Abdoulaye Wade, 85 ans, fait valoir que son premier mandat ne compte pas, car il a été entamé avant l'ajout de cet amendement, en 2001. Vendredi, le Conseil constitutionnel lui a donné raison en l’autorisant à se présenter à la présidentielle. Les manifestations de Sénégalais hostiles à cette nouvelle candidature de Wade ont alors éclaté à Dakar avant de s’étendre à Thies et Mbour.
L'opposition vent debout contre le président sortant
Pour quelle raison la candidature du chanteur Youssou N'Dour a-t-elle été écartée ? Outre la candidature de Wade, le Conseil constitutionnel a validé treize autres candidatures pour la présidentielle du 26 février prochain. Celle du chanteur Youssou N'Dour a, en revanche, été écartée. Raison invoquée ? Le musicien n'a pas réuni les 10.000 signatures de soutien requises. L'institution a, plus précisément, argué que 4.000 des 12.000 soutiens revendiqués par l'artiste n'avaient pu être vérifiés.
Youssou N'Dour a aussitôt appelé ses partisans à s'opposer à la tenue du scrutin. "Nous n'autoriserons jamais Abdoulaye Wade à participer à cette élection", a-t-il affirmé à l'antenne de sa chaîne de télévision, TFM. Il a aussi dénoncé un "coup de force" du président Wade, ajoutant : "je suis candidat et je le reste". Devant la presse, Ndour a fait état de "menaces" contre sa personne physique, sans fournir de détails. Il a toutefois mis en garde : "je n'ai jamais appelé à la violence, mais je vous dis, je ne contrôle plus mes militants".
Appels à la résistance, mais sans violence
Comment a réagi le reste de la classe politique ? Certains des treize candidats adoubés par le Conseil constitutionnel sont sur la même ligne que Youssou N'Dour : "Wade n'a aucun droit d'effectuer un troisième mandat, et le peuple saura résister", a ainsi assuré Moustapha Niasse, un ancien Premier ministre de Wade, désormais candidat face à lui.
Parmi les autres candidats autorisés à participer au scrutin, on trouve le chef de fil du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng et un autre ex-Premier ministre : Idrissa Seck et Macky Sall. Ce dernier fait partie du Mouvement du 23 juin (M23), coalition de partis politiques d'opposition et d'organisations de la société civile contestant la candidature de Wade. Le mouvement a appelé samedi les Sénégalais à "marcher sur le palais" présidentiel pour l'en "déloger".
"Nous nous organisons pour faire face par une résistance contre l'oppression, et nous avons lancé un mot d'ordre à l'ensemble des Sénégalais de se tenir prêts à (y) faire face", a ainsi déclaré à la presse Macky Sall, à l'issue d'une réunion avec d'autres leaders du mouvement. Il faut "tout mettre en oeuvre pour que Wade retire sa candidature, parce qu'il n'est pas question qu'il prenne part" au scrutin présidentiel du 26 février, a-t-il ajouté. "C'est tout à la fois les marches, les sit-in, la résistance", mais "pas la violence".
La décision du Conseil constitutionnel est-elle inéluctable ? En théorie oui : les candidats avaient jusqu'à samedi soir pour déposer des recours auprès du Conseil. Huit opposants l'ont fait contre Wade qui a, lui, saisi le Conseil contre certains d'entre eux. Ndour a déposé une requête séparée contre le rejet de sa candidature. La France a affirmé attendre "que le Conseil constitutionnel statue de manière claire et impartiale sur les réclamations" émises par les candidats exclus de la présidentielle.