Le "calife" en poussin qui sort de son œuf. Mieux vaut en rire qu'en trembler. Avec sa nouvelle série, la chaîne publique Iraqia écorne l'image de mystère et de terreur qui entoure l'Etat islamique et son "calife" Abou Bakr al-Baghdadi. "L'Etat superstitieux", dont le premier épisode a été diffusé samedi à la télé irakienne, offre un regard surprenant sur l'organisation qui menace l'Irak depuis des mois. On peut par exemple voir un Abou Bakr al-Baghdadi de la taille d'un poussin, fendiller sa coquille pour sortir de son œuf. Tel Iznogoud, celui qui veut être "calife à la place du calife" naît de l'union d'un diable cornu brandissant sa fourche et d'une jeune femme portant un collier figurant l'étoile de David.
Un clip surréaliste et ironique ou l'actrice clame son intention de se marier avec "des ceintures explosives" avant de baptiser son enfant ISIS (l'acronyme anglo-saxon de l'Etat islamique). Les producteurs de la série ne cachent pas le sens politique de cette création et considèrent le rire comme une arme de conviction massive. Une conviction qu'il faut savoir ne pas céder à l'injonction à la terreur et à la communication de l'horreur parfaitement rôdée de l'Etat islamique largement répandue parmi les internautes, comme le montre cet article d'Europe 1.
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"Supprimer la peur enracinée dans l'esprit des gens". Les acteurs présents sur le tournage ont d'abord hésité à participer, par peur des représailles, avant de s'engager dans l'aventure. Leur contribution à l'"effort de guerre", comme l'explique l'un d'entre eux : "Nous ne manions pas les armes, mais nous pouvons quand même aider à défaire l'EI par notre travail." Le responsable de la production, Thaer Jiyad, résume bien le but de cette série : "nous voulons supprimer la peur enracinée dans l'esprit des gens. On espère que cette série permettra aux Irakiens de regarder ces groupes fondamentalistes en face, sans angoisse."
De Donald Duck à Captain America. Propagande et parodie ont toujours existé dans ce qu'on peut appeler la guerre psychologique ou la guerre culturelle. Mais ce sont les Américains qui ont le mieux utilisé cette arme de persuasion massive. En 1941, Donald Duck s'engage dans l'armée et encourage les Américains à venger Pearl Harbor, Captain America est érigé en défenseur du monde libre. Les Etats-Unis financent aussi Free Europe, une radio qui diffuse les idées du bloc ouest de l'autre côté du rideau de fer. Cette radio diffuse d'ailleurs actuellement ses programmes dans l'est de l'Ukraine.
Mais l'Etat islamique, organisation riche à millions et très bien structurée, puise aussi sa force dans sa capacité à communiquer. Très actifs sur le web et les réseaux sociaux, ses membres font d'abord parler d'eux pour leurs vidéos de décapitation, qui prouvent toute leur science dans la mise en scène de la violence et de l'horreur. L'Etat islamique aurait même conçu un jeu vidéo inspiré de la saga GTA, comme le montre cet extrait de vidéo.
Un GTA pour s'entraîner au djihad ? Le jeu serait baptisé GTA : Salil al-Sawarem (littéralement le son des épées réunies) destiné à "élever le moral des moudjahidin, former les enfants et les adolescents à lutter contre l'Occident, et jeter l'effroi dans les cœurs des adversaires de l'Etat (islamique)". Mais là encore, l'EI fait preuve d'une grande habileté dans sa communication.
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VIDEO - Pourquoi les djihadistes lèvent-ils l...par Europe1frComme le souligne le site Numerama, il ne s'agit pas d'un jeu vidéo en propre mais d'un montage habile destiné à détourner le sens du jeu. En revanche, "il est très peu probable que des hackers de l'Etat islamique aient réussi à modifier le jeu original pour créer une version fonctionnelle dans laquelle le joueur incarnerait des islamistes", estime l'auteur de l'article.
Call of Duty, Age of empires, des armes idéologiques ? L'Etat islamique reprend les armes culturelles utilisées par les Etats-Unis dans une optique de lutte idéologique. En effet, la série Call of Duty avait tout particulièrement fait l'objet de critiques. Les différents opus campent un héros invariablement américain, opposé à des Russes, des Vietnamiens ou des Pakistanais. Mais d'autres jeux moins controversés comme Age of Empires trahissent cette même domination culturelle. Interrogé par lemonde.fr, le sociologue Laurent Trémel affirme que cette série véhicule "des schémas ethnocentrés, valorisant les “civilisations" de souche nord-européenne au détriment du reste de l’humanité, le tout combiné avec des mécanismes de jeu et des représentations politiques épousant l’idéologie libérale". Dans la guerre qui l'oppose à la coalition de 40 pays, l'Etat islamique réutilise ces mêmes armes. Aux dépens des Etats-Unis, cette fois-ci.