Sommet de Bruxelles : l’Europe a "peur"

Les discours des dirigeants européens reflètent la gravité de la crise. Quitte parfois à verser dans la dramatisation.
Les discours des dirigeants européens reflètent la gravité de la crise. Quitte parfois à verser dans la dramatisation. © REUTERS
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DECRYPTAGE - A l’approche d’un sommet crucial, les discours se font de plus en plus graves.

Pessimisme de l’Allemagne, inquiétude de la France, pression des Etats-Unis… Alors qu'à partir de jeudi se joue ni plus ni moins que le sauvetage de la zone euro, les discours se sont empreints de gravité à l'approche de ce sommet de Bruxelles si crucial. De gravité, voire d’alarmisme. "Jamais l'Europe n'a été aussi nécessaire, jamais elle n'a été aussi en danger. Jamais autant de pays n'ont voulu adhérer à l'Europe, jamais le risque d'explosion de l'Europe n'a été aussi grand", a ainsi déclaré Nicolas Sarkozy lors d'un discours à Marseille à quelques heures d'un sommet européen crucial à Bruxelles.

"La situation est grave, l'euro peut exploser et l'Europe peut se défaire et ça peut être une catastrophe non seulement pour l'Europe, pour la France mais pour le monde", a aussi lancé jeudi matin sur Canal Plus le ministre français aux Affaires européennes Jean Leonetti. Europe1.fr décrypte cette escalade verbale.

A situation plus grave, discours plus graves. Si les dirigeants européens sont plus alarmistes, c’est d’abord parce que la situation l’exige. "Les hommes politiques, mais aussi les économistes, qui suivent la crise de près depuis le début ne pensaient pas il y a encore un an, que la situation serait si grave aujourd’hui", analyse pour Europe1.fr Christophe Blot, chercheur à l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). "La situation ne s’est pas arrangée toute seule, et comme on n’a pas trouvé les solutions, elle est devenue plus grave. On ne cachait pas les choses il y a un an. C’est juste qu’il y avait plus de confiance."

Mercredi, Nicolas Sarkozy avait déjà prévenu. "L'Europe n'est pas sortie de la crise. Le risque d'explosion est prégnant tant que les décisions prises avec Angela Merkel ne sont pas effectives", avait déclaré le chef de l'Etat français devant les parlementaires UMP. Quelques jours plus tôt, à Toulon, le président de la République avait lancé, solennel : "la peur est revenue".

Montrer que l’Europe agit. Alors que l’agence de notation Standard and Poor’s a placé sous surveillance les pays de la zone euro, alors que les indices boursiers font le yoyo, alors que le monde a les yeux tournés vers l’Europe, il s’agit de rassurer les acteurs de l’économie mondiale. "J'ai souligné à quel point il est important pour les Etats-Unis et le reste du monde que l'Europe réussisse", a déclaré le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, lors de son passage à Paris mercredi.

Face à cette pression, "il y a un discours rassurant, où l’on dit que tout est mis en oeuvre pour sortir de la crise, qui est clairement à l’adresse des marchés", analyse Natalie Maroun, directrice du développement de l’observatoire international des crises (OIC).

Les dirigeants européens montrent leur volontarisme. "Nous avons collectivement un devoir de réussite : si nous ne réussissons pas, alors nous alimenterons l'accusation d'impuissance et d'irrésolution qui est le moteur de la crise d'aujourd'hui", a ainsi lancé mercredi François  Fillon lors du congrès du Parti populaire européen (PPE, partis de droite européens) à Marseille. "Il faut qu’il y ait un accord", a de son côté martelé Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, jeudi matin sur France Info.

Alarmiste sur l’euro. En affirmant que "l’euro peut exploser", Jean Leonetti est sans doute allé trop loin. "Est-ce pour montrer que la crise est là, où est-ce que parce que le risque de l’explosion de l’euro est réel ?", s’interroge Christophe Blot, qui penche clairement pour la première solution. "Le risque de la sortie de l’euro est seulement politique", explique l’économiste. "Sur le marché des changes, l’euro n’est pas en train de s’effondrer. Ce n’est pas une crise de change qu’on connaît. Dire que l’euro menace de s’effondrer demain, c’est un peu alarmiste", juge-t-il. "En outre, les pays sont attachés à la communauté européenne monétaire. Ils ont conscience qu’abandonner l’euro serait catastrophique en terme économique est social."

Les déclarations jeudi de Jean-Claude Juncker vont d’ailleurs dans ce sens. "L'euro lui-même, en ce qui concerne sa valeur interne, en ce qui concerne le régime de change, n'est aucunement menacé", a dit le Luxembourgeois sur France Info.

Préparer l’opinion. Les spécialistes sont au moins d’accord sur un point : même en cas d’accord, la sortie de crise n’est pas pour demain. Et la France, comme d’autres pays, aura bien du mal à conserver son AAA. Alors il s’agit de préparer les peuples à un avenir compliqué. "A côté du discours rassurant fait pour les marchés, il y a un discours alarmiste, où les dirigeants jouent à nous faire peur, pour demander aux populations européennes de se serrer la ceinture", estime Natalie Maroun.

Et l’analyste des médias de prendre l’exemple français. "On a l’impression que le gouvernement français prépare déjà la perte de son AAA", explique-t-elle. "C’est pour cela qu’on a ressorti la règle d’or. C’est presque une façon de se déresponsabiliser, de dire que c’est l’opposition qui empêche de prendre les bonnes décisions pour sortir de la crise."

Et les mots choisis, comme "peur", ou "explosion", sans compter la répétition de "crise", n’ont rien d’anodin. "On ne peut demander de tels sacrifices qu’en situation extrême. Et pour prouver que la situation est extrême, il faut utiliser les mots qui vont avec", assure Natalie Maroun. "C’est un moyen de convaincre comme un autre, qui ne s’adresse pas à l’intelligence, mais aux sentiments des gens, tels que la peur."