Il côtoie l’horreur depuis 40 ans. Jacques Bérès, co-fondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, vient de passer quinze jours dans l'enfer de la ville martyre syrienne, Homs, où se trouverait toujours Edith Bouvier, la journaliste française blessée. Pour ce chirurgien baroudeur de 71 ans, qui a connu le Biafra, la Tchéchénie et bien d'autres terrains de conflit, ce qui se passe aujourd'hui là-bas est "d’une cruauté, d’une perversité, d’une injustice absolue".
"Pour l’instant, ce n’est pas une guerre civile. C’est un massacre de population. Il y a quelques combattants de l’armée syrienne libre mais c’est la population qui se fait bombarder de façon intensive", raconte le Dr Bérès sur Europe 1. "Ça commence à 6h30, chaque matin, avec une grande ponctualité et ça dure toute la journée. Des dizaines et des dizaines d’obus, de mortiers lourds de nouvelle génération qui font plus de dégâts et qui sont plus précis aussi" sont tirés par les forces de sécurité syriennes, détaille l'humanitaire.
"Croiser les doigts et invoquer Allah"
Face à ce mitraillage systématique, la population n'a pas d'issue. Comme à "Grozny en Tchéchénie", les habitants n'ont "pas de cave" pour se cacher. Seule solution pour eux, "se mettre près des murs porteurs, croiser les doigts et invoquer Allah", insiste-t-il.
Pendant deux semaines, Jacques Bérès a soigné les blessés dans un hôpital clandestin de la ville "qui a d’ailleurs été bombardé, visé probablement", précise Jacques Bérès. "On l’a déménagé en catastrophe, au bout de quelques jours pour aller dans un autre secteur", se souvient-il.
Ce centre de soin de fortune a été installé dans "une maison particulière". Ici et là, "quelques brancards". "Il y a une salle d’opération, une table d’opération qui tourne tout le temps. Il y a un afflux continuel de blessés et de morts, c’est assez terrible", décrit le chirurgien. Là, Jacques Bérès a dû faire avec les moyens du bord. " On est dans une telle situation qu’il faut essayer de faire ce qu’on peut. Il n'y a pas de vraie stérilisation et même pas de quoi se brosser les mains. On met de l’alcool sur les mains, on enfile les gants et on opère", décrit-il.
Un travail rendu d'autant plus difficile "qu'il y a des coupures d’électricité presque continuellement. C’est plus rare de voir de l’électricité que l’inverse", précise le Dr Bérès. "Il y a des groupes électrogènes mais il faut du diesel pour faire marcher les générateurs".
Une "solidarité magnifique"
Dans sa salle d'opération, il a vu passer un "certain nombre de blessés de l’armée syrienne libre mais principalement des civils. Des vieilles personnes, hommes et femmes, et des enfants malheureusement. Des jeunes enfants pas du tout en âge de porter les armes", insiste Jacques Bérès. Face à cet afflux de blessés, le médecin a dû "faire des choix". "J’ai été très bien aidé par un médecin formidable, un Syrien. Il n’était pas spécialiste de la guerre mais avait beaucoup de bon sens médical et faisait pas mal de tri", se souvient-il. "Mais, je me suis fait piéger une fois. J’ai commencé une opération parce qu’on m’avait dit de la faire. Ça a coûté 3 heures de chirurgie, 15 flacons de sang et il est mort quand même. Je n’aurai pas dû", regrette-t-il.
Le Dr Bérès salue "la solidarité magnifique" du peuple syrien. "On n’a jamais été en panne de sang. Les gens venaient en prenant des risques, spontanément pour le donner", s'émeut-il. Un risque que Jacques Bérès n'avait lui-même pas hésité à prendre pour venir aider cette population civile. "J’ai testé des filières, j’ai eu de la chance. J’ai fait voiture, moto, motocross, passages à travers champs. On s’est même enlisé dans une rivière de nuit. C’est un peu comme dans les films", ajoute-t-il sans donner plus de détails, pour des raisons de sécurité.
"On reçoit beaucoup"
Malgré ses 71 ans, Jacques Bérès n'est pas prêt de s'arrêter. "Je tourne là-dedans depuis 40 ans. J’ai horreur de ça. C’est vraiment une saloperie pas possible mais c’est mon boulot et je l’aime profondément", reconnaît-il. "On reçoit beaucoup à faire ça. Les gens sont adorables, vous remercient. Ils n’avaient pas grand-chose à manger mais ils m’en proposaient tout le temps. Comme expérience humaine, c’est formidable d’être avec eux".
Alors aujourd'hui, le médecin veut transmettre le message des habitants de Homs. "Ils ont besoin qu’on parle d’eux, que les humanitaires, les journalistes aient le courage de revenir", conclut-il.