A Kobané, les extrémistes de l’Etat islamique reculent à la faveur de l’opposition kurde et des frappes de la coalition. Mais à environ 150 kilomètres de là, Raqqa vit toujours sous le joug des djihadistes. Dans la ville syrienne, devenue vitrine de l’organisation islamiste, la charia est appliquée de manière extrême. Un petit groupe de résistants tente malgré tout de tenir tête à l’Etat islamique, dans l’ombre.
Raqqa, "ville de fantômes". Sans l’activisme de cette quinzaine de jeunes gens, rien ne filtrerait de cette ville où les djihadistes exécutent, crucifient, embrigadent des enfants et entraînent leurs recrues. Les résistants courent d’énormes risques à témoigner. C’est un énorme risque pour celui qui se fait appeler Abou Adraqqa. Il filme, photographie dans le plus grand secret. Tout ça pour que le monde entier dispose, dit-il, de preuves sur les crimes de l’Etat islamique. Ce jeune homme d’une vingtaine d’années vit caché dans un appartement de Raqqa, la "ville des fantômes", comme il l’appelle, en référence à toutes les femmes voilées de noir.
Une discrétion absolue. Depuis le début des frappes de la coalition sur des cibles djihadistes en Syrie, l’état d’esprit des occupants de Raqqa a changé. Les djihadistes ont quitté leur QG pour s’installer dans les maisons, les écoles. Les civils deviennent leur bouclier. Les checkpoints sont plus mobiles. Les extrémistes sont entrés dans une phase de paranoïa extrême. "Ils fouillent les portables de tout le monde. Ils cherchent des espions partout", raconte Abou Adraqqa, qui supprime systématiquement toutes les vidéos et les clichés qu’il prend. Un de ses amis s’est fait attrapé. Il a été exécuté.
Le jeune homme, ancien étudiant en sciences, continue malgré tout son travail de documentation de la vie sous l’Etat islamique. Il prend désormais quelques précautions supplémentaires : "Quand je sors filmer, je suis toujours avec deux ou trois amis pour surveiller la rue. Il y en a un qui se met au début et l’autre qui se met à la fin. Ca ne dure pas plus de deux ou trois minutes." Pour envoyer ses preuves, il anonymise sa connexion internet pour faire face à l’armée de hackers djihadistes qui surveillent le web.
>> LIRE AUSSI - Dabiq, l'arme médiatique de l'Etat islamique
Le danger de l’exécution. Des précautions qui ne sont pas superflues, puisque le jeune homme risque littéralement sa vie. "Si jamais je me fais attraper, je serai exécuté en place publique, vous verrez la photo sur internet", dit-il un sourire dans la voix, l’air sarcastique. Abou Ibrahim, un autre résistant, rendait compte de ces meurtres en place publique, "beaucoup de crucifixions et d’exécutions". Le plus souvent, elles se déroulent le vendredi, juste après la prière à la mosquée. Abou Ibrahim a préféré fuir de la Syrie à moto, pour éviter la mort. "Ils étaient tout près de savoir qui je suis", désespère-t-il au micro d’Europe 1. Désormais sous le coup d’une fatwa (un édit musulman), il a "fui la ville parce que je ne voulais pas que l’Etat islamique tue ma famille", déplore celui qui a échappé à la mort de justesse.
Rares sont les habitants de Raqqa qui prennent les mêmes risques qu’Abou Ibrahim et Abou Adraqqa. Même si les djihadistes "détruisent ma ville", dit le premier, visiblement attristé. Quant à Abou Adraqqa, il ne reconnaît plus sa ville. Il dit ne plus savoir dans quel pays il est dans les rues de Raqqa, tant les passants parlent de langues différentes. Beaucoup d’étrangers, venus des quatre continents, habitent désormais dans la "capitale" des djihadistes et très peu d’entre eux parlent arabe.
"Les pauvres gens de Raqqa ne peuvent rien faire" contre l’Etat islamique. Et les frappes de la coalition n’y changeront rien, selon ces résistants. Les bombardements arrivent trop tard. Et surtout, le message que les deux jeunes hommes martèlent, c’est que pour en finir réellement avec l’Etat islamique, il faut d’abord faire tomber Bashar Al-Assad.
>> LIRE AUSSI - Pourquoi la Turquie réclame une zone tampon à la frontière