Depuis plusieurs semaines les négociations s’intensifient sur le dossier syrien. Alors que la France souhaite qu’une résolution contraignante soit signée par l’ONU, les Russes - à la surprise générale - ont proposé de contrôler et détruire les armes chimiques détenues par le régime de Bachar al-Assad. Une proposition que Damas a accepté, redistribuant ainsi les cartes du jeu diplomatique au détriment de la France.
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• En présentant une proposition, la Russie a-t-elle volé la "vedette" à la France sur le dossier syrien ?
Moscou a joué un formidable coup diplomatique au lendemain du G20 en sortant de sa manche cette proposition de désarmement. Une solution dont les Russes et les Américains avaient déjà parlé, mais sans être d’accord. L’initiative immédiatement saluée par Barack Obama a vite fait du règlement de la crise syrienne une affaire russo-américaine. Ce qui s’est illustré à Genève où Russes et Américains ont négocié trois jours pour parvenir à un accord.
Il est clair depuis le début de la guerre en Syrie, il y a maintenant deux ans et demi, que le règlement de la crise ne se fera pas sans la Russie. Pour autant, la Russie n’a pas volé la vedette à la France. La France a toujours été en première ligne dans le règlement du dossier, en reconnaissant l’opposition syrienne, en accueillant ses représentants à Paris, en leur fournissant une aide logistique. Mais La Russie a toujours été et reste incontournable.
• La France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne souhaitent une résolution forte à l’ONU. Cela veut-il dire que la France est encore soutenue à 100% par ses alliés sur le plan diplomatique ?
Difficile de dire que la France domine le jeu diplomatique sur le règlement de la crise syrienne, disons plutôt que la France cherche à rester dans le jeu. En proposant un projet de résolution à l’ONU, Paris a repris l’initiative sur le plan diplomatique. Mais Moscou a immédiatement rejeté ce projet de résolution. Puis, dans la foulée, les Russes et les Etats-Unis ont signé un accord à Genève, qui finalement ne prévoit pas de recours aux sanctions ou à la force en cas de manquement de Bachar al-Assad, mais évoque plutôt des "conséquences sérieuses".
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Mais le bras de fer n’est pas terminé. Mardi dernier, la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont insisté sur leur volonté commune d’obtenir une résolution forte de la part de ces trois membres permanents du Conseil de Sécurité. Ce à quoi le chef de la diplomatie Russe Sergueï Lavrov a immédiatement répondu être "certain que malgré toutes les déclarations émanant de certaines capitales européennes, la partie américaine s’en tiendra strictement à ce qui a été convenu". Sergueï Lavrov a ajouté qu’agiter des menaces pouvait même "faire échouer" le processus de paix.
• Le rapport des enquêteurs de l’ONU, qui montre qu’il y a bien eu utilisation de gaz sarin, va-t-il changer quelque chose aux négociations ou à la résolution ?
Certainement, dans la mesure où il permet d’établir que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie peut être qualifié de "crime de guerre". Le Secrétaire Général de l'ONU, Ban Ki-moon l’a immédiatement souligné. Ce rapport permet d’établir une base juridique pour faire comparaitre les responsables devant une juridiction internationale comme le Tribunal pénal international. Le rapport mentionne par ailleurs l’usage de roquettes sol-sol comme vecteur du gaz sarin, or seule l’armée syrienne possède un tel armement.
Mais le rapport n’établit pas formellement qui est le coupable. Chacun des négociateurs va donc pouvoir s’appuyer sur le rapport des inspecteurs pour argumenter lors de la rédaction finale de la résolution qui sera votée par le conseil de sécurité.
On en a eu un avant goût mardi matin à Moscou à l’issue de l’entrevue entre Laurent Fabius et Sergueï Lavrov : à propos des attaques à l’arme chimique le chef de la diplomatie russe parle de "provocation de l’opposition" quand son homologue français affirme que "la responsabilité du régime de Damas ne fait aucun doute". Pour Moscou, il est hors de question que la résolution soit placée sous chapitre 7, qui autorise un recours à al force en cas de non respect de la résolution, NDLR] quand Paris évoque une "résolution forte et contraignante".
Reste à voir maintenant jusqu’où les Français maintiendront leur position. Cela devrait notamment dépendre de la position américaine. Et jusqu’à présent John Kerry ne tient pas tout à fait le même discours lorsqu’il se trouve face à Sergueï Lavrov ou à Laurent Fabius.