Il y a urgence en Syrie. Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a évoqué jeudi un danger "imminent" de guerre civile, tandis que l'émissaire international Kofi Annan se prononçait pour une pression accrue sur Damas pour mettre fin à 15 mois de violences. Après deux massacres d'ampleur au cours des derniers jours, la situation semble totalement bloquée.
Fabrice Balanche*, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), explique à Europe1.fr pourquoi rien ne bouge en Syrie.
Parce que l'axe Russie-Chine est inflexible. Moscou et Pékin affichent de plus en plus un front commun. "Les Russes jouent leur crédibilité. Ils veulent retrouver un rôle géopolitique international. S'ils lâchent la Syrie, leur allié stratégique dans la région, quel autre pays voudra s'allier avec eux ?", s'interroge Fabrice Balanche.
A travers le dossier syrien, les deux puissances sont entrées plus largement dans une logique d'affrontement avec l'Occident. "Les Chinois s'alignent avec la Russie car ils veulent également jouer un rôle géopolitique mondial. Obama a exclu les Chinois d'une zone de libre-échange qui regroupe dix pays dans le Pacifique et les Etats-Unis ont la main mise sur le pétrole dans le golfe Arabo-persique", détaille ce spécialiste.
Parce que les Occidentaux sont impuissants. Les massacres de Houla et celui très récent de Mazraat al-Qoubir (au moins 55 tués) ont mis en lumière les limites des pays occidentaux dans la résolution du conflit. Jusqu'ici, une résolution placée sous le chapitre VII de la charte de l'Onu autorisant le recours à la force reste inenvisageable. L'opposition syrienne et les pays occidentaux et du Golfe, qui souhaitent le renversement de Bachar al-Assad, commencent également à penser que le plan de paix en six points de Kofi Annan est périmé en raison de l'utilisation par le pouvoir syrien des forces armées pour écraser une opposition de plus en plus militarisée.
D'autant que sur le terrain, les observateurs des Nations unies ont eux-mêmes de plus en plus de mal à faire leur travail. Si vendredi, il ont réussi à se rendre dans le village de Mazraat al-Qoubir, près de Hama, jeudi, les "bérets bleus" avaient déjà dû faire demi-tour après avoir été bloqués par l'armée syrienne et des civils, puis avoir essuyé des tirs d'armes légères.
Parce que l'Iran reste influent. Kofi Annan souhaite créer un nouveau groupe de contact comprenant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Russie, Etats-unis, Royaume-uni, France) ainsi que des acteurs régionaux ayant une influence sur le gouvernement syrien et l'opposition, comme l'Iran. Une option totalement écartée par la France. "Ce serait contradictoire avec l'objectif de pression forte sur la Syrie, et cela aurait une interaction sur les discussions sur le nucléaire iranien, ce qui n'est pas souhaitable", a expliqué le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius.
Or, la capitale iranienne garde une véritable influence sur l'axe chiite comprenant l'Irak, la Syrie et le Liban. La république islamique est d'ailleurs bien présente sur le terrain. L'Iran a dépêché sur place des éléments de sa brigade al-Qods, des forces spéciales chargées des opérations clandestines à l'étranger. "L'Iran fait partie du problème en Syrie actuellement", a déclaré la représentante permanente des Etats-Unis, Susan Rice. "Il ne fait pas de doute que la régime soutien activement le gouvernement dans la perpétration des violences."
Parce que le régime Assad reste puissant. Lors de la séance du Conseil de sécurité jeudi soir, Kofi Annan a estimé que la crise syrienne pourrait bientôt devenir incontrôlable et a demandé au monde d'exercer de "fortes pressions" sur le régime de Damas, ont indiqué des diplomates aux Nations unies. Les Occidentaux plaident clairement pour davantage de sanctions à l'encontre du régime. Mais jusqu'à maintenant, le pays reste "imperméable", précise Fabrice Balanche. "Ils ont une autonomie énergétique grâce au pétrole vénézuélien de Chavez qui reçoit lui du fioul syrien. L'Irak offre des débouchés pour les produits agricoles et l'Iran leur offre une aide financière qui leur sert notamment à payer leurs fonctionnaires", ajoute-t-il.
Bachar al-Assad dispose également, à l'intérieur du pays, d'un régime solide qui s'apparente à "une structure féodale" de 200 et 300 dignitaires fidèles et d'une bourgeoisie qui "ne lâcheront pas de peur de prendre leur privilèges", assure Fabrice Balanche. Le président profite également d'une opposition divisée (marxistes, frères musulmans, salafistes, etc.) qui risque de sombrer dans la "guerre civile".
Parce qu'il y a le précédent libyen. Après l'intervention militaire en Libye qui a conduit à la chute de Kadhafi, la communauté internationale reste massivement frileuse sur le sujet. "Les Etats-Unis sont dans une logique de retrait d'Afghanistan et d'Irak et les Européens n'ont rien à gagner", détaille le spécialiste. "La chute de Kadhafi a déstabilisé l'Afrique subsaharienne, notamment au Mali, au Niger. Ils n'avaient pas estimé tous les dégâts. En Syrie, ils risquent de mettre un doigt dans un engrenage" qu'ils refusent pour l'instant unanimement.
* Auteur de L’Atlas du Proche-Orient arabe et La région alaouite et le pouvoir syrien