Une intervention militaire en Syrie est totalement exclue sous François Hollande, comme elle l'était sous Nicolas Sarkozy. Et pourtant, l'ex-président français a suscité la polémique en évoquant mardi "de grandes similitudes" entre la crise syrienne et celle de 2011 en Libye, où il avait été à la pointe d'une intervention internationale.
Il s'est d'ailleurs entretenu avec le président du Conseil national syrien et suggère "une action rapide de la communauté internationale pour éviter les massacres" mais ne précise pas de solutions concrètes. Sur ce dossier, la diplomatie française et plus généralement les Occidentaux –dont les budgets miliaires sont impactés par la crise - ne comptent pas intervenir militairement. Europe1.fr détaille les raisons de la ligne diplomatique de la France.
…Parce que la Syrie n'est pas Libye. La typologie des pays est très différente. Karim Emile Bitar, expert français du Moyen-Orient, insiste sur le caractère explosif de la situation syrienne, "véritable mosaïque ethnique et religieuse" de 22 millions d'habitants, tandis qu'"en Libye, on avait une population de 6-7 millions homogène". Sur le terrain, le conflit syrien est également singulier. La deuxième ville libyenne, Benghazi, berceau du soulèvement, avait très vite échappé au pouvoir central. Tandis que les rebelles syriens ne contrôlent toujours pas de grandes parties du territoire ni de grandes villes. "Une majorité écrasante de Libyens réclamaient une intervention étrangère alors qu'en Syrie, au moins 50% des Syriens la refusent, traumatisés par la guerre de 2003 à 2011 en Irak", leur voisin, rappelle Karim Emile Bitar.
Du simple point de vue stratégique, les experts font valoir qu'il était relativement facile de remporter une victoire contre l'armée libyenne, même si la guerre avait duré sept mois. L'armée syrienne, nettement mieux équipée, possède en outre des armes chimiques.
…Parce que la Syrie a des soutiens de poids. Le régime de Bachar al-Assad est profondément inséré dans les grands équilibres du Proche-Orient. Il peut compter des soutiens indéfectibles dans tout le camp chiite, à commencer le nouveau pouvoir irakien, composé du Premier ministre Nouri al-maliki.
La Syrie est surtout soutenue par le grand acteur de la région : l'Iran, dont l'émissaire Saïd Jalili a été reçu en grande pompe par le président Bachar al-Assad en personne. "L'axe de résistance", comme il est surnommé, est donc plus que jamais constitué face à Israël et toutes les puissances qui souhaiteraient agir. Au sein de la diplomatie occidentale, personne ne souhaite ouvrir un conflit avec l'Iran au moment où ceux-ci continuent de négocier sur la question du nucléaire.
La Syrie a toujours le soutien du Hezbollah, le mouvement chiite libanais dont le pouvoir de nuisance est loin d'être négligeable. La France a toujours sur place près de 1.300 casques bleus déployés. Actuellement, ce sont des soldats de maintien de la paix mais, en cas de conflit ouvert, ils pourraient rapidement devenir des cibles, voire des otages dans ce conflit. Pour rappel, en 1983, lors des premières tensions avec cette coalition, un attentat avait fait 58 morts parmi les soldats français.
…Parce que la Russie et la Chine font toujours blocage. C'est sans doute le point crucial du dossier. De l'avis de tous les experts, il est impossible d'intervenir légitimement en Syrie sans mandat des Nations-Unies. Et depuis le début du conflit, la Chine et la Russie ne font aucune concession : ils ont opposé à chaque fois leur véto à toute résolution onusienne et ont eu raison de la mission d'observation menée par Kofi Annan, qui a démissionné. "La Russie qui détient les clefs de la crise syrienne", insiste Karim Emile Bitar, convaincu qu'"il faudra faire avec les Russes un marchandage dépassant le cadre syrien".
En 2011, "la résolution adoptée à l'ONU pour donner un cadre légal à l'intervention en Libye mettait pour la première fois en œuvre le concept de responsabilité de protéger les populations", rappelle le géopolitologue, Pascal Boniface. "En cours de route, l'intervention avait été dénaturée par les pays participant qui disaient 'il faut renverser Kadhafi'. Russes et Chinois se sont sentis bernés et ne veulent pas recommencer", résume-t-il.
Mais l'enjeu est également de faire acte de puissance. "Les Russes jouent leur crédibilité. Ils veulent retrouver un rôle géopolitique international. S'ils lâchent la Syrie, leur allié stratégique dans la région, quel autre pays voudra s'allier avec eux ?", rappelle Fabrice Balanche, interrogé récemment par Europe1.fr.
…Parce que la France ne veut pas jouer les gendarmes du monde. Avec Laurent Fabius, la diplomatie française reste globalement sur la même ligne qu'à l'époque d'Alain Juppé. L'idée est de délégitimer le régime de Bachar al-Assad et d'unifier l'opposition. Comme l'explique Le Monde, Paris mise sur une décomposition du noyau dur du pouvoir sous la pression conjuguée des combats, des sanctions, des soutiens apportés à l'opposition et des défections. De plus, François Hollande ne souhaite pas adopter une posture "interventionniste" ou "impérialiste" en Syrie. Le président français cherche le meilleur compromis entre moyens et objectifs à l'heure de la crise. Dans l'entourage de Hollande, on précise que la France joue dans sa catégorie, avec une logique de puissance "moyenne", afin de ne surtout pas apparaître "comme le gendarme du monde", précise le quotidien du soir.
Du coup, la "carte" humanitaire est la vraie nouveauté de la diplomatie Hollande. La France a envoyé jeudi un groupement médico-chirurgical militaire à destination de la Jordanie pour venir en aide aux réfugiés qui fuient les combats en Syrie et affluent à la frontière syro-jordanienne. C'est, pour l'instant, la seule réponse française envisagée aux exactions du pouvoir syrien.
…Parce que les Européens n'ont pas les moyens... Crise de la dette oblige, les pays européens disposant d'une force de frappe à l'international veulent réduire la voilure. Ils ont déjà épuisé leurs stocks en Libye et l'armée française prépare son Livre blanc, sa feuille de route, avec pour consigne de limiter son budget.
...et les Américains rechignent. Si les Européens manquent actuellement de moyens, les Américains pourraient eux intervenir. Mais la période est également aux économies outre-Atlantique, sans oublier un élément incontournable. Barack Obama est engagé dans une campagne électorale et il ne souhaite pas s'engager militairement dans le monde musulman au moins jusqu'au scrutin de novembre. Le président démocrate, prix Nobel de la Paix, a également à cœur de solder le lourd héritage de son prédécesseur, George W. Bush.