La file d’attente est déjà longue le long des salles de classe aux murs blancs qui servent de bureaux de vote. L’atmosphère est sérieuse mais décontractée, les votants, eux, sont calmes et concentrés, a pu constater l'envoyé spécial d’Europe 1 en Tunisie. A moins de trois heures de la fin du scrutin, la participation atteignait déjà les 70%, voire 80% dans certaines circonscriptions.
Hommes et femmes sont séparés et la file d’attente n’avance pas vite. Tous ont leur carte d’électeur à la main. Ceux qui ont déjà voté sortent le sourire aux lèvres et le doigt marqué à l’encre bleue. Ce sont des scènes inédites, du jamais vu pour les Tunisiens. Il y avait bien des élections sous Ben Ali mais elles ne passionnaient guère et tout le monde connaissait les résultats à l’avance.
Assemblée constituante
Là, les Tunisiens se sont levés très tôt pour aller voter pour élire une Assemblée constituante qui sera chargée de rédiger leur constitution. Les 217 membres de l’Assemblée, députés constituants, seront élus pour un an. Cette Assemblée désignera également un exécutif provisoire, qui devrait gouverner jusqu'aux prochaines élections générales.
Dans les rues, les scènes sont parfois émouvantes comme ce jeune homme, la larme à l’œil en sortant de chez lui quand il a vu une vieille femme de 70 ans partir voter pour la première fois.
Ennahda, le parti islamiste, favori
Les islamistes du parti Ennahda (Renaissance) sont les favoris de ce scrutin. Rachid Ghannouchi, chef de file des islamistes tunisiens, a d'ailleurs été pris à partie et hué par une dizaine de personnes dimanche à la sortie de son bureau de vote, à Tunis. "Dégage ! Dégage !", lui ont crié quelques personnes. "Tu es un terroriste et un assassin, retourne à Londres". Ghannouchi, qui a vécu 22 ans en exil à Londres, n'a pas répondu. Tout au long de la campagne, il s'est employé à présenter son mouvement Ennahda comme l'incarnation d'un islam politique moderne, affirmant qu'il ne tenterait pas d'imposer ses valeurs à la société.
Au total, 1.500 listes de partis et d'indépendants se présentaient dans les 27 circonscriptions de Tunisie. Cette profusion de partis a laissé une grande partie des Tunisiens dubitatifs. Pourtant nombreux sont ceux qui s’enchantaient de cette ouverture. Un laveur de voiture lançait des "vive la Tunisie, vive la Tunisie". Et quand on lui demande pourquoi, il répond : "car c’est le premier jour de la démocratie tunisienne".
Ces élections sont une victoire pour mon fils
Pour la mère de Mohamed Bouazizi, le jeune homme qui a déclenché la "révolution du jasmin" en s'immolant par le feu le 17 décembre à Sidi Bouzid, "ces élections sont une victoire pour mon fils qui est mort pour défendre la dignité et la liberté". "J'espère que les gens qui vont gouverner garderont ce message à l'esprit et témoigneront de la considération à l'égard de tous les Tunisiens, y compris les pauvres", a-t-elle conclu.