Les résultats définitifs des élections tunisiennes de dimanche ne sont pas encore tombés mais le parti islamiste Ennahda a déjà gagné une bataille : celle de sa reconnaissance. Le mouvement devrait vraisemblablement être au centre du jeu politique dans la nouvelle Assemblée constituante qui doit nommer un gouvernement provisoire et fixer la date des élections législative et présidentielle.
Tout le monde semble cependant s'interroger sur les réelles intentions de ce parti dont le nom signifie "renaissance" en français. Exilé pendant plus de 20 ans à Londres, Rached Ghannouchi, l'un des fondateurs du mouvement, est un proche des Frères musulmans. Son parti avait été interdit lors des élections législatives de 1989 par Ben Ali, avant que des milliers de ses partisans finissent dans les geôles tunisiennes.
Interrogé par Europe 1 en janvier dernier, l'un de ses proches, Ajmi Lourimi, assurait qu'Ennahda est “pour toutes les libertés démocratiques“. “Nous sommes le produit de la culture tunisienne, du système éducatif tunisien, nous sommes le prolongement du mouvement réformiste, nous ne sommes pas venus d’une autre planète“, expliquait-il alors.
Ajmi Lourimi, proche de l'un des fondateurs d'Ennadha, se voulait rassurant au micro d'Europe 1 en janvier dernier
Mais n'y a-t-il pas un double langage ? Vincent Geisser, sociologue et politologue spécialiste de l'islam, explique au micro d'Europe 1 qu'Ennadha est "un parti plutôt réformiste" dans le paysage des islamistes. Il s'agit d'une formation qui, officiellement, "reconnaît les acquis modernistes en termes d'égalité hommes - femmes", souligne-t-il.
Il existe en effet tout un faisceau de partis islamistes, des plus "modérés" aux plus radicaux. Vincent Geisser estime ainsi qu'Ennadha est un parti qui reste ultra-conservateur, libéral sur le plan économique mais qui est également l'adversaire politique des extrémistes salafistes.
Dans les prochaines semaines, il risque d'y avoir une bataille à l'intérieur même du mouvement Ennadha entre les tendances les plus réformistes et les plus conservatrices, prédit Vincent Geisser.
Premières déclarations d'intention
En marge des premiers résultats électoraux, les responsables d'Ennahda ont en tout cas tenu à afficher un visage modéré sur deux points majeurs : l'économie et le droit des femmes.
"Nous respecterons les droits de la femme sur la base du code de statut personnel et de l'égalité entre les Tunisiens quels que soient leur religion, leur sexe ou leur appartenance sociale", a ainsi affirmé lundi à l'AFP Nourreddine Bhiri, membre de la direction du parti islamiste. Les Tunisiennes disposent d'un statut juridique enviable dans le monde arabo-musulman. La loi en vigueur interdit la polygamie, la répudiation, permet l'avortement libre et donne droit au divorce judiciaire.
Ces acquis introduits par le père de l'indépendance (1956) Habib Bourguiba, sont enracinés dans la pratique sociale et ont permis aux femmes (50% de la population) d'être présentes dans tous les domaines d'activités.
Les responsables d'Ennahda ont également voulu calmer les éventuelles craintes des investisseurs. "Nous voulons rassurer nos partenaires économiques et commerciaux, ainsi que tous les investisseurs: nous espérons très rapidement revenir à la stabilité et à des conditions favorables à l'investissement", a déclaré Abdelhamid Jlassi, directeur du bureau exécutif du parti islamiste. "Les priorités de la Tunisie sont claires: c'est la stabilité et les conditions pour vivre dans la dignité, ainsi que la construction d'institutions démocratiques", a-t-il souligné.
Les islamistes du mouvement Ennahda ont par ailleurs annoncé être prêts à former une alliance avec deux formations laïques.
L'avenir dira si ces déclarations d'intention se vérifieront dans les faits.