Réchauffer, réchauffer, réchauffer. François Hollande se rend en Turquie lundi et mardi. Une visite attendue, depuis deux ans. Le chef de l’Etat devra réchauffer des relations devenues houleuses sous le mandat de Nicolas Sarkozy, mais il devra aussi redonner envie aux Turcs de se tourner vers l’Europe. "Réchauffer", c’est le mot d’ordre de cette visite. "Incontestablement, du point de vue des autorités gouvernementales cette visite est appréciée et très attendue, après une très forte dégradation des relations durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy", souligne Didier Billion, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris), spécialiste de la Turquie, interrogé par Europe1.fr.
Il faut dire que la dernière visite d’un président français à Ankara a laissé un goût amer. C’était en 2011 et Nicolas Sarkozy avait passé, en tout et pour tout, cinq heures sur le sol turc. Une visite réalisée non pas en tant que chef de l’Etat français, mais comme président du G20. Un service minimum qui était assez mal passé auprès de ses interlocuteurs. Qu'en est-il aujourd'hui avec la venue de François Hollande ?
Une amertume ancrée. Du côté de l’opinion publique, l’accueil est mitigé. "Le quotidien des Turcs ne les prédispose pas à être obsédés par cette visite", observe Didier Billion. Le chercheur de l’Iris estime que la dégradation des relations entre les deux pays a entamé l’enthousiasme de certains pro-européens. "Certains sont encore amers vis-à-vis de Paris et se sont sentis trahis, ces dernières années", ajoute-t-il.
Cela fait maintenant dix-huit ans que la Turquie tape à la porte de l’Europe, alors certains commencent à être las. Aujourd’hui, seulement 22% des Turcs croient toujours qu’une adhésion à l’UE est possible. Ils étaient 78% en 2002. Après trois ans de pause, les discussions ont repris le 5 novembre dernier, mais laissent peu d’espoir à une issue "heureuse" pour la Turquie.
Trois dossiers sensibles. Sur les 35 chapitres qui composent les négociations sur l’adhésion de la Turquie, trois dossiers, particulièrement délicats, coincent : la libre circulation des personnes [Bruxelles craint un flux migratoire venu d’Asie centrale] ; le poids politique et économique de la Turquie une fois que celle-ci sera dans l’UE. [Avec ses 74 millions d’habitants, la Turquie sera parmi les pays les plus peuplés de l’Union européenne] ; et la question kurde.
Des tensions intérieures. Outre la situation léguée par Nicolas Sarkozy, la visite de François Hollande intervient dans un contexte particulier en Turquie. Le pays connaît une période de grande tension politique. Ces dernières semaines, le régime du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a durement répliqué aux poursuites engagées contre plusieurs dizaines de proches du pouvoir islamo-conservateur. Ils sont soupçonnés de corruption.
Ne pas mélanger diplomatie et politique intérieure. Dans ce contexte, François Hollande devrait, donc, veiller scrupuleusement à ne pas cautionner le régime par sa visite, programmée de longue date. "Mais on ne peut pas dire que cette visite intervient dans un mauvais timing", estime Didier Billion. "Jamais une visite d’Etat ne doit être conditionnée par la vie politique intérieure d’un pays, sauf s’il y avait atteinte massive aux droits de l’Homme, ce qui n’est pas le cas en Turquie", souligne le chercheur.
Le spécialiste rappelle que François Hollande se rend en Turquie pour rencontrer son homologue, le président Abdullah Gül, "qui a pris ses distances avec son Premier ministre". "Cette visite ne pourra donc pas être perçue comme un soutien à Recep Tayyip Erdogan, sauf si le chef de l’Etat fait des déclarations en ce sens", ajoute-t-il, rappelant qu’il aurait été beaucoup plus préjudiciable aux relations franco-turques que François Hollande annule sa visite en raison de la crise que traverse Ankara.
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