Il est plus que jamais l'homme fort de la Turquie. Recep Tayyip Erdogan, 60 ans, a remporté l'élection présidentielle dès le premier tour, qui a eu lieu dimanche, selon des résultats partiels tombés vers 17h30 heures françaises. Il obtient une majorité absolue de suffrages (52,1%) après dépouillement de la quasi-totalité des bulletins. Une manière pour celui qui était déjà Premier ministre depuis plus de dix ans de conforter sa mainmise sur le pays, où sa popularité reste très grande, malgré une vague de contestation inédite l'année dernière.
Les Turcs ont élu dimanche pour la première fois leur président au suffrage universel direct. Selon les observateurs, la participation au scrutin, qui intervient en pleine période de vacances, devrait s'établir aux alentours de 70 à 75%. Aucun incident majeur n'a été signalé lors du vote à travers ce pays de 52,7 millions d'habitants.
Nouveau mode de scrutin. C'est la première fois en Turquie que l'élection présidentielle a lieu au suffrage universel direct. Jusqu'ici, le président était élu par les députés. Un changement de mode de scrutin conforme à la volonté d'Erdogan, qui n'a jamais caché qu'il souhaitait transformer le système parlementaire turc en un régime présidentiel.
"Réconciliation". Le nouveau président truc a promis d'ouvrer pour la réconciliation du pays. "Nous clôturons aujourd'hui une ère et entrons dans une nouvelle ère", a-t-il lancé lors d'un discours devant des milliers de ses partisans réunis à Ankara, promettant de devenir "le président des 77 millions de Turcs" en oubliant "les disputes du passé". Le chef de l'État élu a promis un "nouveau processus de réconciliation sociale" entre ses compatriotes, qu'il a remerciés sans distinction pour avoir participé au scrutin. "Je prie tous ceux qui me qualifient de dictateur et d'autocrate de revoir leur position", a conclu Recep Tayyip Erdogan.
Un scénario à la Poutine-Medvedev. L'élection à la présidence est aussi un moyen pour Erdogan de s'accrocher au pouvoir. La Constitution turque n'autorise en effet que trois mandats de Premier ministre consécutifs, ce qui l'aurait forcé à se retirer en 2015. En devenant président, Erdogan conservera les rênes du pays pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois.
Quant à Abdullah Gül, le président sortant, qui fait partie des fondateurs de l'AKP, la presse turque le voit en probable Premier ministre d'Erdogan. Une inversion des rôles qui ferait écho à celle opérée en 2008 par Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev en Russie.
Quel bilan pour Erdogan ? Aux affaires depuis 2003, Recep Tayyip Erdogan peut compter sur une popularité confortée par un solide bilan économique. "En presque 13 ans de gouvernement AKP, les classes populaires et moyennes ont vu leurs conditions de vie s’améliorer nettement grâce en partie à la politique d’infrastructure et sociale du gouvernement portée par un PNB multiplié par 4", note la journaliste spécialisée Ariane Bonzon sur Slate.fr.
Erdogan s'appuie sur un électorat religieux, soucieux de prospérité et du respect de la tradition, auquel il se présente comme celui qui a libéré le pays de l'influence de l'armée et des élites laïques issues de la proclamation de la république moderne par Mustafa Kemal Atatürk, en 1923. Des élites progressivement remplacées par une nouvelle classe dirigeante, plus religieuse et moins tournée vers l'Europe. Une évolution illustrée par ce clip de campagne à la gloire d'Erdogan, dont la diffusion a été interdite par le Haut conseil électoral en raison des symboles religieux qu'il comporte.
Répression et censure. Pourtant, Erdogan sort d'une période compliquée, marquée par une contestation de sa mainmise sur la Turquie. Après les manifestations de la place Taksim à Istanbul, l'année dernière, le Premier ministre a été confronté à des affaires de corruption qui ont touché son entourage, sur fond de guerre intestine entre son parti et la confrérie de l'imam Fethullah Gülen. Erdogan, qui a placé une bonne partie des médias turcs sous son contrôlé, est allé jusqu'à censurer Internet pour éviter des fuites gênantes. Et en mai, une photo montrant l'un de ses conseillers en train de frapper un manifestant à terre a encore desservi son image sur les réseaux sociaux.
C'est grâce aux dernières élections municipales, qu'il a largement remportées en mars, que le Premier ministre a remonté la pente. Désormais archi-favori d'un scrutin présidentiel taillé à sa mesure, Recep Tayyip Erdogan ne voit plus guère d'obstacles sur le chemin qui le sépare de Cankaya, le palais présidentiel d'Ankara.