Comme le craignaient les autorités et les observateurs internationaux, la situation se tend à Haïti après l'annonce des résultats du premier tour de l'élection présidentielle. Un manifestant a été tué mercredi au Cap-Haïtien et plusieurs autres ont été blessés par balles en Haïti lors de manifestations violentes.
Ce jeune manifestant a été tué par balles au Cap-Haïtien, à 300 km au nord de Port-au-Prince, au cours d'affrontements entre les partisans du candidat à la présidence Jude Célestin, soutenu par le pouvoir, et ceux du chanteur populaire Michel Martelly, écarté du second tour. Dans le centre du pays à Mirebalais, trois manifestants ont été blessés par balles, selon des médias locaux. Des incidents qui ont poussé les autorités a fermer tous les aéroports de l'île, dont l'aéroport international de Port-au-Prince.
Le président appelle au calme
Le président René Préval a lancé un appel au calme. "Manifestez, c'est votre droit, mais ne vous attaquez pas aux édifices publics, aux commerces et aux biens privés des gens", a déclaré le chef de l'Etat sur les ondes de la Radio nationale d'Haïti, rappelant que les résultats des élections n'étaient pas définitifs.
"Les résultats peuvent être contestés devant le contentieux électoral comme le prévoit la loi, mais pas dans les manifestations de rue, ce n'est pas cela la démocratie", a ajouté le président. Des manifestations et des tirs sporadiques avaient déjà été signalés mardi soir et mercredi en Haïti après l'annonce des résultats. L'ex-première dame Mirlande Manigat et Jude Célestin, protégé du président sortant René Préval, s'affronteront au second tour de la présidentielle haïtienne, a fait savoir la commission électorale sur la base des résultats préliminaires.
Manigat et Célestin au second tour
Mirlande Manigat, professeur de droit âgé de 70 ans, a obtenu 31,37% des suffrages et Jude Célestin a recueilli 22,48% des voix. Le chanteur Michel Martelly, qui a promis une vague de contestation s'il ne passait pas le premier tour, arrive en troisième position avec 21,84%. Il accuse le chef de l'Etat sortant, son jeune protégé et leur coalition baptisée "Inite" (unité) de chercher à "voler l'élection" par la fraude et les manipulations au sein du Conseil électoral provisoire, l'instance officielle chargée d'annoncer ce mardi les résultats.
Les partisans du chanteur, surnommé "Sweet Micky", ont érigé des barricades dans le quartier de Pétionville et dans un camp de sinistrés du séisme du 12 janvier, près du palais présidentiel. Des policiers en patrouille dans les rues de la capitale, pour la plupart plongées dans l'obscurité, les ont sommés de les démanteler, parfois sous la menace de leurs armes. Des coups de feu ont par ailleurs retenti dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince.
Le doute des Etats-Unis
L'ambassade des Etats-Unis a émis des doutes sur les résultats, qui ne sont, selon elle, pas conformes au décompte auquel "de nombreux observateurs locaux et étrangers ont assisté". "Les Etats-Unis, en collaboration avec les partenaires internationaux d'Haïti, sont favorables à un examen complet des irrégularités pour faire en sorte que les résultats électoraux soient conformes à la volonté exprimée dans les urnes par le peuple haïtien", a annoncé l'ambassade dans un communiqué.
Depuis le 28 novembre, les casques bleus de la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) et les observateurs internationaux sont confrontés à des allégations répétées de "fraude massive" formulées par plus de la moitié des 18 candidats du premier tour.
L'Organisation des Etats américains (OEA) a tenu à rappeler "qu'il s'agit d'un décompte provisoire" et qu'il y a "tout un processus à travers duquel il est possible de faire appel des résultats, tout une palette de recours ouverts". "Il est important de maintenir le calme et je crois qu'il va certainement y avoir une discussion après" la publication des résultats, a indiqué José Miguel Insulza, le secrétaire général de l'OEA. La date du second tour a été provisoirement fixée au 16 janvier, mais elle doit être confirmée.
Un pays à reconstruire
Cette élection marque un changement politique majeur dans un pays dirigé depuis 2006 par le président René Préval, de plus en plus contesté par la population. Son successeur devra gérer l'épidémie de choléra qui sévit dans le pays depuis la mi-octobre et qui a fait 2.120 morts, selon le dernier bilan des autorités. Autre dossier dont hériteront les nouveaux dirigeants haïtiens: les suites du séisme du 12 janvier, qui a fait plus de 250.000 morts et 1,5 million de sans-abri.
Au moment où le pays attendait les résultats des élections, les dernières nouvelles sur la maladie attisaient la nervosité de la population: selon un rapport remis au ministère français des Affaires étrangères, le foyer infectieux de l'épidémie est parti du camp des Casques bleus népalais de la Mission de l'ONU. "Le foyer infectieux est parti du camp des Népalais" situé à Mirebalais près du fleuve de l'Artibonite, a dit cette source en se basant sur les conclusions du rapport du professeur français Renaud Piarroux.
L'information circulait déjà depuis plusieurs semaines en Haïti et a été à l'origine de heurts entre la population et les Casques bleus qui ont fait plusieurs morts. A New York, le porte-parole du secrétaire général de l'ONU a affirmé qu'il n'existait aucune "preuve concluante" permettant d'étayer ces informations.