DANS LE FLOU. Il concentre toutes les attentions, toutes les spéculations. Vladimir Poutine, le président russe qui a planifié le rattachement de la Crimée à la Russie, reste impassible depuis le début de la crise en Ukraine. Peu importe les coups de téléphone, les discussions avec Angela Merkel, les sanctions européennes. Vladimir Poutine avance ses pions sans que personne n’arrive réellement à comprendre la stratégie de celui qui a, de son point de vue, parfaitement su gérer l'invasion de la Crimée.
Dans ce flou le plus total, l’Union européenne continue dans sa lancée de sanctions pour essayer de faire lâcher le président russe. Mais comme l’écrit le journal russe de gauche Nezavissimaïa Gazeta, Poutine n’est pas homme à céder sous la pression. A tel point que le quotidien se demande si les Européens "croient réellement au succès d’une telle tactique ou s’ils sont vraiment obligés de se conduire ainsi".
"Un coup de génie géopolitique". Car depuis le début de la crise, Vladimir Poutine a une longueur d’avance sur les Occidentaux. Lorsque les premières velléités russes sur la Crimée se font sentir, des soldats sans insignes font leur apparition dans les rues de Simféropol. Impossible d’affirmer haut et fort qu’ils sont commandés par Moscou. Avec ce coup de maître, comment accuser officiellement la Russie d’invasion armée ?
En plein week-end, le dirigeant russe fait voter par la Douma un texte qui l’autorise à faire entrer ses soldats en Crimée. On passe à deux doigts de la guerre ouverte puisqu'au final, Vladimir Poutine ne donnera finalement jamais ouvertement l’ordre à l’armée russe d’intervenir.
Le président russe fin stratège ? Même l'adversaire américain en fait l'amer constat.Le site américain Politico relate ainsi que les opposants politiques d’Obama "ont fait passer l’invasion de la Crimée pour un coup de génie géopolitique". Un constat partagé par le spécialiste de la Russie, chercheur à l’Inalco, Jean Radvanyi, qui affirme à Europe 1 : "Nous sommes dans un jeu d’échecs". D’ailleurs, le Républicain Mike Rogers, membre républicain à la Chambre des représentants, ironise : pendant que "Poutine joue aux échecs, […] nous jouons aux billes."
Serait-il fou ? Alors que l’Occident et la Russie jouent à deux jeux différents, le secrétaire général de l’OTAN affirme que Poutine a imaginé une "stratégie globale" pour l’Ukraine et anticipe une invasion de l’est du pays. "Ce qu’il veut avant tout, c’est faire renaître une sorte de nouvel empire, de nouvelle URSS mais qui porterait le nom de la Russie", affirme Viktor Iouchtchenko, l’ancien premier ministre ukrainien. La Transnistrie, une république autonome de Moldavie, veut d'ailleurs suivre l'exemple de la Crimée et a demandé son rattachement à la Russie, raconte Le Monde.
Cette stratégie illisible est si déroutante que le professeur de l’université de Washington Scott Radnitz se demande, sur Slate si Vladimir Poutine n’est pas un peu fou. "Chacun s’est dit que Poutine se contentait de jouer avec le feu", mais d’autres analystes "vont encore plus loin en affirmant que Poutine a perdu la boule", écrit le directeur du Ellisson Center for Russian, East European and Central Asian Studies de l’Université de Washington. Le journal américain Washington Post va juste jusqu’à supputer que Poutine oublie des éléments essentiels de diplomatie : "La plongée du rouble lundi […] a pu rappeler à M. Poutine que la Russie est vulnérable aux dommages économiques dans un monde où ‘tout est interconnecté et interdépendant’". A croire que le président russe a oublié qu’il jouait avec le feu en mettant en jeu l’économie de son pays en l’exposant aux sanctions européennes.
Mais selon Scott Radnitz, "le meilleur tacticien est celui qui arrive à faire croire aux autres qu’il lui est bien égal de se brûler". Au final, la meilleure conclusion revient encore au professeur de l’université de Washington : "Face à toutes les hypothèses fébriles sur ce qui doit se passer dans la tête dérangée du président russe, il vaut la peine de se demander si Poutine n’est pas parfaitement conscient qu’il a l’air complètement fou." Et que cela lui est bien égal.