C’est la voix la plus célèbre d’Afrique. A 52 ans, star internationale de la chanson et homme d’affaires avisé, Youssou Ndour troquerait bien le boubou traditionnel contre le costume de président du Sénégal dont le premier tour de l’élection est prévu le 26 février. Mais, malgré sa popularité, basée sur une brillante carrière musicale et une réussite bâtie à la force du poignet, sa candidature à l'élection présidentielle est loin de faire l'unanimité dans le pays.
"C’est le candidat qui a le plus de notoriété", admet Lala Ndiaye, journaliste à l’hebdomadaire sénégalais Le Nouvel horizon. "Il est très adulé et si cette masse le soutient, il peut aller loin", estime-t-elle avant de souligner que "les avis sont partagés sur sa candidature. Certains saluent son engagement citoyen, d’autant qu’il est l’exemple type du gagneur, de celui qui a réussi à se faire un nom. D’autres se demandent si cette candidature est vraiment dénuée de tout intérêt et s’il est sincère", ajoute-t-elle.
La star du mbalax, musique populaire sénégalaise mais aussi de la world music, est en effet très appréciée de la jeunesse. Car s'il n'a pas fait de grandes études, Youssou Ndour est un vrai "self made man". Né en 1959 dans un quartier populaire de Dakar, Youssou Ndour, surnommé "l'enfant de la Médina", est issu d’une famille modeste appartenant à la caste des griots. Parti de rien, il s'est fait un nom, un statut social et a fondé de nombreuses sociétés au Sénégal dont le siège est la Youssou inc. Outre ses 20 albums, le chanteur possède de multiples casquettes : il est à la tête de plusieurs sociétés de production, d’une entreprise de micro-crédit avec l’appui de Benetton (Birima), anime une fondation caritative, est patron du groupe de presse Futur medias, possède un nightclub à Dakar, le Thiossane, où il se produit régulièrement en pleine nuit…
Son mouvement citoyen Fecce Maci Bollé (Je suis là, donc, j'en fais partie, en wolof) "lui a permis de rassembler de nombreux soutiens", affirme Madiambal Diagne, directeur général du journal Le Quotidien dans les colonnes du quotidien français Le Monde.
"Un chanteur n'a pas la carrure d'un Président"
Mais si "You", comme l'appellent ses compatriotes, est adulé par son parcours personnel et professionnel, son arrivée dans l'arène est parfois perçue avec méfiance. La raison ? L’engagement social de Youssou Ndour coïncide avec ses ennuis avec le pouvoir en place. En septembre 2009, la licence d'exploitation de sa chaîne de télévision TFM lui est refusée. C’est le déclic. Le chanteur, considéré comme proche du pouvoir, commence alors à dénoncer les incessantes coupures d'électricité et les problèmes qui rythment le quotidien des Sénégalais. D’aucuns se disent d’ailleurs que son entrée en politique est sans doute une façon de "mieux gérer ses affaires". Après des mois de lutte avec la présidence et fort d’une pétition ayant rassemblé 1,7 million de signatures, son projet de chaîne de télévision a fini par voir le jour.
"Picsous Ndour à la place de Wade c'est l'équivalent d'Iznogood à la place du calife ! C'est risible à mes yeux, il est probablement, vu son jeune âge, encore plus dans le désir manger au gâteau que le vieux et son entourage a l'estomac déjà trop rempli par 10 ans de festin ...", poste Abdou sur la page du réseau social Facebook du Mouvement du 23 juin, regroupant les partis de l'opposition. "Un chanteur n'a pas la carrure d'un Président. Votez avec vos têtes, pas avec vos oreilles SVP", commente également Ndeye sur la page. "Wait and see !!! En tout cas, le pays c'est pas une scène de Bercy", ironise Malick.
La candidature du chanteur divise jusque dans les rangs du show business. "Se présenter c’est bien, mais avoir un programme c’est encore mieux !", ironise le rappeur Awadi sur Afrik.com. Le chanteur ivoirien, Alpha Blondy, rappelle quant à lui, dans L’intelligent d’Abidjan que cette candidature peut être "dangereuse". "Youssou Ndour est un artiste inspiré. Mais sera-t-il un politicien inspiré ?", s’interroge-t-il.
Et pour l’instant, "You" n’a pas de programme. Seule l’annonce de sa candidature laisse entrevoir des thèmes de campagne qui restent assez flous : une "justice équitable", "une meilleure cohésion sociale" etc…
"Un devoir patriotique suprême" :
(intégralité) - Discours de Youssou Ndour annonçant sa candidature à la présidentielleYou se compare à Lula
Mais Youssou Ndour, lui, se plaît à y croire. Se comparant à l'ancien président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, il estime que "si un ouvrier à pu le faire, pourquoi pas un chanteur". S'il est élu, "You" s'engage en tout cas à abandonner le temps de son mandat toutes ses activités artistiques, son groupe de presse, ses affaires : "Le Sénégal est beaucoup plus important que tout ça".
Face à lui, le vieux lion Abdoulaye Wade mais aussi une myriade de candidats dont le nombre précis ne sera connu qu'à l'issue de l'examen des dossiers par le Conseil constitutionnel, en fin de semaine. Le président Abdoulaye Wade, 85 ans, n’a jamais été aussi impopulaire. Avec deux mandats consécutifs obtenus près avoir révisé la constitution en 2001, le vieux lion veut en briguer un troisième. "De toute manière, Youssou Ndour va porter préjudice à la candidature du président Wade parce qu'il risque de disperser l'électorat", conclut Lala Ndiaye.