Ils sont plus de 6.000 réunis à Istanbul pour parler crises humanitaires. Des dirigeants et des ONG du monde entier sont rassemblés, depuis lundi, en Turquie pour le tout premier sommet mondial consacré au sujet. L’occasion de revoir les processus d’intervention et de coordination entre les différents acteurs sur le terrain, mais aussi de pointer du doigt la dangerosité du travail des humanitaires et le manque de volonté de certains Etats pour débloquer l’accès à l’aide dans certaines zones de conflits.
Les civils en première ligne
"Il faut une rupture dans la gestion des crises humanitaires". Pour Jean Saslawsky, secrétaire général réseau international de Médecins du Monde, l’accès à l’aide est sans doute l’un des enjeux majeurs de cette rencontre à Istanbul. "Les populations civiles sont désormais en première ligne des conflits armés", observe-t-il. Un phénomène récent dû à des conflits "qui n’opposent plus des Etats entre eux, mais des Etats à des groupes armés", note Jean-François Dubost, d’Amnesty International. Des groupes moins respectueux des "règles de la guerre" et qui n’hésitent pas à se servir des civils comme boucliers humains.
Certaines villes ont par exemple étaient assiégées en Syrie. Des dizaines de villageois sont morts de faim faute de laisser-passer pour les convois humanitaires bloqués par l’armée. Le week-end dernier encore, les Nations unies et l'ONG Human Rights Watch ont dénoncé la situation de la ville irakienne de Falouja qui n'a plus accès à aucune aide depuis le mois de décembre.
"Des conflits de plus en plus politisés"
Des situations qui relèvent directement de la responsabilité et de la volonté des Etats. "À moins que les dirigeants du monde ne s'attaquent résolument au non-respect généralisé du droit international, aucune des mesures prises pour améliorer le système d'aide humanitaire ne permettra de résoudre la crise des réfugiés", estime l’ONG Amnesty International.
Même discours du côté d’Action contre la Faim (ACF) : Pauline Chetcuti dénonce "des blocages militaires, administratifs ou simplement politiques", que l’humanitaire explique par "un contexte et des conflits de plus en plus politisés". "Il y a aujourd’hui dans le monde plus de 60 millions de déplacés et plus de 20 millions de réfugiés", souligne Jean-François Dubost, d’Amnesty International, "c’est un chiffre que nous n’avions plus atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale".
"C’est devenu très dangereux"
Outre le durcissement des conditions pour les civils, les travailleurs humanitaires ne sont pas non plus épargnés. Joints par Europe 1, ces derniers sont unanimes : les conditions sur le terrain sont bien plus difficiles que par le passé. "C’est devenu très dangereux, il y a une vraie dégradation des conditions de sécurité", observe Jean Saslawsky, secrétaire général réseau international de Médecins du Monde.
"Les structures de santé dans lesquelles nous travaillons sont attaquées", dénonce l’humanitaire. Dernier exemple marquant en date : l’hôpital Al Qods à Alep, soutenu par Médecins sans frontières (MSF), bombardé fin avril par l’armée de Bahar al-Assad. De fait, les ONG ont dû adapter leurs méthodes sur le terrain. "Nous sommes obligés d’évacuer très fréquemment. Nous menons de plus en plus d’opérations "in and out", c’est-à-dire qu’on se rend sur un site et on en repart très vite. Nous avons été obligés d’adapter complètement notre fonctionnement", déplore Jean Saslawsky.
Les ONG espèrent donc que le sommet d’Istanbul permettra de trouver des solutions pour les travailleurs, mais aussi et avant tout pour les populations. "L’un des enjeux est de faire pression sur les Etats pour que ceux qui ont le pouvoir de débloquer l’accès à l’aide humanitaire le fasse", insiste Pauline Chetcuti d’ACF.
Médecins sans frontières boude le sommet
Mais certaines ONG sont sceptiques quant à l’efficacité de l’événement.Médecins sans frontières (MSF) a décidé de boycotter le sommet, anticipant une "déclaration de bonnes intentions" et aucune avancée concrète. L’ONG a vu plus de 75 de ses sites visés par des attaques. Le système humanitaire actuel est trop "bureaucratique et allergique au risque", estime Sandrine Tiller, de MSF, pour qui le Sommet humanitaire mondial risque de ne rien changer à la situation des personnes affectées par les conflits en Syrie ou au Yémen.
Pour Pauline Chetcuti d’ACF si on sait que le sommet "ne débouchera pas sur un document contraignant comme cela a été le cas pour la COP21, par exemple, nous gardons tout de même l’espoir que nous arriverons à faire pression sur les Etats pour qu’ils débloquent certaines situations". L’ONG réclame notamment la nomination d’un rapporteur des travailleurs humanitaires auprès de l’ONU.
Une feuille de route en septembre
Le secrétaire général de l’ONU, qui parraine l’évènement, présentera un rapport sur le sommet d’Istanbul lors de l’assemblée générale des Nations unies au mois de septembre prochain. Pauline Chetcuti d’ACF espère que "Ban Ki Moon présentera ce rapport sous forme de feuille de route à adopter pour les Etats, les agences et les ONG, pour avancer et mettre en place les engagements pris en Turquie". "Il ne faut pas que ce soit un sommet de plus. Mais nous devrons attendre septembre pour voir quelles décisions seront prises", ajoute Jean-François Dubost, d’Amnesty International. Aujourd’hui, dans le monde, 125 millions de personnes ont besoin d'assistance.
Parmi les enjeux du sommet évoqués par les ONG, figure celui de la diffusion de l’information aux populations, pour qu’elles aient un meilleur accès à l’aide.
Autre point abordé lors des tables rondes : l’équilibrage entre les ONG issues des pays du nord et celles du sud, encore peu intégrées aux processus de décision.