Depuis la fondation de la République fédérale d'Allemagne en 1949, ce n'était jamais arrivé. Dans la nuit de dimanche à lundi, après un mois de tergiversations, Angela Merkel a échoué à constituer son quatrième gouvernement. Si le président allemand Frank-Walter Steinmeier exhorte la classe politique à retourner à la table des négociations, la chancelière, elle, se dit aujourd'hui prête à affronter les urnes début 2018. Une option plus que jamais envisageable, tant les blocages semblent indénouables entre les conservateurs de Merkel (CDU-CSU), les libéraux (FDP) et les écologistes.
Des positions inconciliables
En théorie, Angela Merkel peut encore tenter de former un gouvernement avec son allié bavarois CSU, les libéraux et les Verts, comme le souhaiterait le président fédéral. Mais les blocages sont ici particulièrement résistants, notamment sur la politique migratoire.
- L'immigration, sujet de discorde majeur
C'est sans aucun doute le sujet de discorde le plus important outre-Rhin : les migrants et les suites de la généreuse politique d'accueil des réfugiés par Angela Merkel.
Les partis n'ont pu s'entendre sur la question de savoir si tout ou partie seulement des réfugiés devaient avoir droit au regroupement familial en Allemagne. Les libéraux et les conservateurs, en particulier les alliés bavarois très à droite de la chancelière (CSU), réclamaient une politique migratoire plus restrictive, avec un plafonnement à 200.000 réfugiés autorisés dans le pays chaque année, refusant que tous puissent bénéficier du regroupement familial. Avec en tête la crainte d'être devancés par l'extrême droite lors des élections régionales de l'an prochain en Bavière.
À l'inverse, le regroupement familial est pour les Verts un point essentiel, au nom de la tradition humanitaire du pays et d'une intégration réussie des immigrés.
- Grosses divergences sur le climat
Comment le pays devra-t-il s'y prendre pour réduire ses émissions de CO2 ? Voilà une autre question qui divise. Car si tout le monde est d'accord pour diminuer la part d'électricité tirée du charbon, conservateurs et libéraux prônent une baisse de seulement 3 gigawatts de production, quand les écologistes exigent 10 gigawatts de moins.
Ces derniers veulent aussi davantage d'incitations fiscales pour les véhicules propres. Et les partis divergent sur l'ampleur des restrictions à prévoir pour les véhicules diesel en ville.
- La fiscalité et l'UE divisent aussi
Autres points de blocage : la suppression ou non d'ici à 2021 de "l'impôt de solidarité" de 5,5% introduit en 1991 pour financer la réunification allemande et, peut-être encore plus importante, la réponse à apporter à la main tendue d'Emmanuel Macron pour relancer l'UE et la zone euro. Là encore, aucun accord n'a émergé des discussions.
Pas étonnant, tant cette coalition semble contre nature sur le papier, notamment entre les libéraux du FDP aux tendances eurosceptiques et les écologistes europhiles.
"On partait sur une coalition inédite au niveau national, avec des cultures politiques très différentes", analyse sur Europe 1 Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors. "C'est une crise grave, car l'Allemagne nous a toujours habitués à être un grand pays de consensus. Là, personne n'a voulu mettre de l'eau dans son vin", observe le spécialiste.
Les libéraux fermés au dialogue
Cette absence de compromis, Christian Lindner l'incarne mieux que quiconque. Le chef des libéraux du SPD, qui a rompu les pourparlers durant la nuit, est accusé par certains politiques et éditorialistes d'avoir fait échouer les négociations à des fins électoralistes. Le secrétaire général de la CDU, Peter Tauber, a ainsi jugé qu'il "n'y avait aucune raison pour qu'il quitte la pièce" et l'écologiste Reinhard Bütikofer l'a accusé de faire dans "l'agitation populiste" en adoptant des positions intransigeante sur l'immigration.
L'intéressé, lui, a assuré qu'il n'avait fait que se rendre à l'évidence : les positions des uns et des autres étaient trop éloignées. Même Angela Merkel, pourtant habituée des négociations marathon au niveau européen, semble résignée. Si elle a vanté la qualité des relations nouées avec les écologistes, selon elle, Christian Lindner ne reviendra probablement pas sur sa décision.
Les résultats des élections législatives de septembre :
Conservateurs (CDU/CSU) : 33%
Sociaux-démocrates (SPD) : 20,5%
Alternative pour l'Allemagne (AfD) : 12,6%
Libéraux (FDP) : 10,7%
Gauche radicale (Die Linke) : 9,2%
Écologistes (Verts) :8,9%
Des alternatives peu réalistes
- Le SPD préfère l'opposition
Parmi les options restantes, Angela Merkel pourrait se tourner vers les sociaux-démocrates du SPD et tenter de les convaincre d'accepter de poursuivre le gouvernement de "grande coalition" qu'ils dirigent ensemble depuis 2013. Problème : le SPD, laminé en septembre, refuse catégoriquement. Son patron, Martin Schulz, a répété lundi ne pas "craindre de nouvelles élections".
Avant d'abandonner totalement cette idée, la chancelière attend néanmoins une réunion programmée mercredi entre la direction du parti social-démocrate et le président fédéral Frank-Walter Steinmeier, issu de ce même parti.
- Un gouvernement minoritaire a priori exclu
Une autre option reste enfin possible : la mise sur pied d'un gouvernement minoritaire, dont Angela Merkel prendrait la tête. Mais la dirigeante s'est encore dite "très sceptique" lundi soir sur cette possibilité à haut risques conduisant à gouverner en s'appuyant sur des majorités changeantes. Une situation qui ne s'est jamais produite depuis la guerre dans le pays.
Des élections anticipées seraient "une voie préférable", a ajouté la chancelière. Reste à savoir si son parti lui renouvellera sa confiance. Au vu des sondages, c'est surtout l'extrême droite (AfD) qui pourrait progresser après avoir déjà réussi en septembre à entrer au Bundestag. Si ce scénario se confirme, cela ne résoudra pas forcément le problème : avec l'Afd dans le cercle, il sera peut-être encore plus difficile de trouver une majorité.
Au vu de la constitution, des élections anticipées ne peuvent être convoquées que dans deux cas :
- En premier lieu si la chancelière subit un vote de défiance des députés, comme son prédécesseur Gerhard Schröder en 2005. Mais dans son cas cette voie lui est interdite par la constitution car elle ne dirige qu'un gouvernement d'affaires courantes.
- En deuxième lieu si elle ne se fait élire chancelière qu'à la majorité relative. Dans ce cas, le président allemand a la possibilité, dans un délai d'une semaine, de ne pas la nommer puis de convoquer un nouveau scrutin législatif dans les 60 jours suivants.