Fin mars, Theresa May prenait la décision de ne pas changer le niveau d'alerte terroriste en Grande-Bretagne. L'attaque à la voiture-bélier qui venait de faire cinq morts sur le pont de Westminster, à Londres, n'y changeait rien : la Premier ministre entendait maintenir son pays à l'échelon "grave", le quatrième sur une échelle en comportant cinq. "Nous n'avons pas peur", clamait-elle encore devant le Parlement réuni dès le lendemain des faits. Un mot d'ordre largement repris par la population, qui avait adopté le hashtag #WeAreNotAfraid sur Twitter. Une manière de montrer que l'irruption du terrorisme, quasi-absent sur le sol britannique depuis les attentats de 2005, ne perturberait pas le cours de leurs vies.
Trois mois plus tard, le discours n'est plus le même outre-Manche. Un attentat à l'explosif a fait 22 morts et des dizaines de blessés à la sortie de la Manchester Arena, le 22 mai. Samedi, c'est à nouveau la capitale britannique qui a été visée : une camionnette a foncé dans la foule, cette fois à London Bridge, avant que ses occupants ne s'en prennent à la foule à coups de couteau. Cette fois, à quelques jours d'élections législatives cruciales pour elle, Theresa May a durci le ton, jugeant qu'il y avait "bien trop de tolérance envers l'extrémisme" au Royaume-Uni. Et de conclure : "enough is enough !" (ça suffit !).
"Le climat a changé". "Indéniablement, le climat a changé", diagnostique Alexandre Vautravers, expert en sécurité à l'Université de Genève, interrogé par Europe1.fr. "En trois mois, il y a eu trois attentats terroristes sur le sol britannique : par définition, la situation est inédite." Un changement d'abord palpable sur le plan politique : après London Bridge, pas d'unité affichée comme au lendemain de l'attaque de Westminster. Dimanche, le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, a d'abord critiqué la décision de Theresa May de ne pas relever le seuil d'alerte terroriste après le premier attentat. Avant, lundi, d'appeler la Premier ministre à la démission, lui reprochant d'avoir réduit de 20.000 hommes les effectifs policiers lorsqu'elle était ministre de l'Intérieur.
" Les mesures prises dépendront en grande partie du résultat des élections "
Les critiques ne s'arrêtent pas là. "Le FBI avait prévenu de la dangerosité de l'auteur de l'attentat de Manchester", analyse Chems Akrouf, expert en renseignement et en intelligence stratégique au groupe Sentinel. "Les Britanniques ont choisi de mettre l'accent sur tout ce qui est caméras de surveillance et suivi des communications. Mais dans ce cas précis, un bon renseignement humain d'infiltration leur a fait défaut : les personnes qui ne sont pas en lien via des communications traçables peuvent passer entre les mailles du filet." Des failles que Theresa May, qui a annoncé la mise en place d'un groupe de travail au Parlement pour améliorer la lutte antiterroriste, entend corriger. "Mais les mesures prises dépendront en grande partie du résultat des élections", souligne Alexandre Vautravers.
Élections législatives imminentes. Car au-delà de la multiplication des attaques terroristes, les critiques s'inscrivent dans un contexte électoral particulier : convoquées par Theresa May qui entendait renforcer sa majorité pour négocier le Brexit, des élections législatives doivent avoir lieu en Grande-Bretagne, jeudi. Et force est de constater que les attentats n'ont pas joué en faveur de la Premier ministre : donné gagnant avec près de 20 points d'avance mi-avril, le parti de la dirigeante est désormais au coude à coude avec les travaillistes de Jeremy Corbyn. Pour Alexandre Vautravers, la réaction de ce dernier est "très hypocrite". "Il a fait toute sa campagne contre le suivisme et la participation à la coalition contre l'Etat islamique", estime l'expert en sécurité. "Attaquer May là-dessus, c'est de la tactique politicienne pure."
" Le discours de Theresa May marque un tournant qui est logique "
Une tactique qui trouve un certain écho au sein de la population de la capitale, toujours déterminée à aller de l'avant mais incontestablement meurtrie. Pour beaucoup de Britanniques, London Bridge est l'attentat de trop. "Nous vivons un moment de chaos, de terreur, une situation d'alerte grave", a témoigné William Narvaez, un Colombien établi à Londres depuis 20 ans, interrogé par l'AFP. "Les gens veulent un discours ferme, dur", a estimé un autre Londonien auprès du Monde.
"Une colère qui apparaît". "Après le premier attentat du mois de mars, j'entendais sur un plateau de télévision un journaliste de la BBC nous expliquer avec le plus grand flegme britannique que rien ne changerait, qu'il n'y aurait pas de grand discours sécuritaire", résume l'avocat Thibault de Montbrial, spécialiste des questions de défense, interrogé par Europe 1. "C'est déjà en train de changer : il y a une colère qui apparaît, et le discours de Theresa May marque un tournant qui est logique." Et d'établir une analogie avec l'enchaînement des attentats de Charlie Hebdo et du 13-Novembre : "c'est très intéressant de comparer cette situation avec celle qu'a connu la France en 2015. En réalité, c'est un peu la même chose."