Depuis l'offensive turque sur la ville kurde d'Afrin, en Syrie, en janvier dernier, les relations sont tendues entre la Turquie et la France. Si la coalition n'est pas intervenue pour aider les Kurdes à Afrin, elle a en revanche renforcé sa présence dans la région de Manbij en Syrie, un endroit stratégique situé entre Alep et la frontière turque, avant de faire de même à Ankara. Le but est de faire bouclier face aux Turcs.
Aujourd'hui, près de 350 soldats de la coalition internationale anti-Etat islamique, essentiellement des Américains et des Français, sont ainsi stationnés à Manbij, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme. Une ligne de front contre-nature sur laquelle des membres de l’Otan se tiennent en joue.
"Un incident peut vite dégénérer". Sur place, les Américains ont hissé leurs drapeaux sur deux bases avancées construites sur les hauteurs des collines. De leur côté, les forces spéciales françaises ne s’affichent pas mais elles sont derrière les avant-postes tenus par les combattants locaux, majoritairement kurdes. Depuis l’interstice entre les sacs de sables, Ahmed aperçoit les positions turques et celles de leurs supplétifs rebelles. Les accrochages, dit-il, sont quasi quotidiens.
"La situation est très tendue. Les Turcs ont envoyé beaucoup de renforts. On est à moins d’un kilomètre d’eux. Ce matin, un sniper nous a tirés dessus depuis la base des rebelles syriens. Heureusement que l'on a des patrouilles conjointe avec la coalition 24h sur 24", explique-t-il. "On entend des obus de mortiers s’abattre dans la campagne. Qui les lance ? Qui les reçoit ? Personne n’en sait rien. Une opposition entre Turcs, Américains et Français est peu probable mais les lignes sont tellement serrées qu’un incident peut vite dégénérer", estime-t-il.
Une présence qui rassure... La présence des forces de la coalition rassure toutefois en partie la population locale. Qu’ils soient arabes ou kurdes, les habitants la considèrent comme un rempart face à l’arrivée d’un énième nouvel occupant. Et si les Français sont discrets, les Américains, eux, patrouillent en ville. Dans la rue principale, des véhicules blindés couleur sable stationnent devant les restaurants et les soldats américains plaisantent avec les clients en attendant leurs sandwichs. "Ça fait une dizaine de jours qu’on les voit et je m’en réjouis, on a de bonne relations, ils nous protègent dans cette période d’incertitudes", estime l'un des clients. "Il y a une grande peur de voir une offensive comme celle d’Afrin se reproduire ici".
... mais seulement partiellement. Cette opération turque menée en janvier contre la ville d’Afrin a laissé des traces. Elle a traumatisé la population et a fragilisé son rapport à la coalition. "Qu’est ce que l’on doit penser ? A Afrin, il y a eu des centaines de civils tués et personne n’a rien dit", souligne ainsi Muhammad Abou Adel, le chef du conseil militaire de Manbij. "La coalition internationale, ce n’est pas qu’un pays, il y a beaucoup d’Etats qui en font partie. Chaque pays a ses propres intérêts, et c’est cela qui prime, donc on ne sait pas ce qui peut se passer pour nous demain. Il faut mieux compter sur nous même que sur les autres. Regardez, il y a quelques jours Donald Trump a déclaré que les Américains allaient partir de Syrie pour changer complètement d’avis tout de suite après", pointe-t-il encore. Une incertitude qui profite à l’Etat islamique. Les djihadistes, dit-il, ne sont pas encore vaincus, mais "désormais, nous restons concentrés sur la protection de nos villages".