Ils sont silencieux. À peine perçoit-on le bruit de leurs ailes. Et pourtant, les criquets pèlerins se déplacent par millions, peut-être par milliards. Dans toute l'Afrique de l'Est, ils dévorent les cultures et les pâturages depuis plus de deux mois. Pour Les Carnets du monde, Europe 1 s'est rendue au Kenya, où ces insectes, dont les essaims atteignent parfois la taille du Luxembourg, font craindre une crise alimentaire.
"Lorsque vous conduisez, vous ne voyez plus rien"
Des images tournées dans le comté d'Isiolo, dans le nord du pays, montrent un arbre entièrement recouvert de criquets. Quelques instants plus tard, il n’en reste pas une feuille... Toutes dévorées par ces ravageurs particulièrement voraces. Alors, pour sauver leurs cultures, les habitants impuissants crient, tapent des mains, font ronronner le moteur des voitures… Des moyens modestes face à une crise d’ampleur.
En effet, le Kenya n’avait pas connu pareille invasion depuis 75 ans. En janvier dernier, le gouvernement a même lancé un plan d’urgence et débloqué 300.000 dollars. Mais la crise perdure et les criquets se multiplient toujours plus vite. Une femelle pond jusqu’à 300 œufs durant les trois mois de sa courte vie.
"C’est de pire en pire. Lorsque vous conduisez, vous ne voyez plus rien", témoigne John Mugo, agriculteur interrogé par Europe 1 à Nairobi. "Quand les criquets envahissent les cultures, ils mangent toutes les feuilles et laissent la plante sans chlorophylle. Elle sèche. C’est très dur, car les agriculteurs n’ont plus de revenu. C’est un désastre." Lui cultive sa production dans une région encore épargnée. Mais il se rend régulièrement dans les zones ravagées.
"Ils sont capables d'aller partout dans le pays"
À ce jour, 14 comtés sont en train d’être dévorés par les criquets, notamment dans la Vallée du Rift, région agricole du pays, grenier de l’Afrique de l’Est. "Après avoir dévoré la végétation en Somalie, les criquets ont cherché un autre endroit pour se nourrir", explique George Otieno, entomologiste kenyan et spécialiste des criquets pèlerins. "Le Kenya s’est présenté comme une alternative idéale. Leur venue a été favorisée également par le vent."
"Ce matin, ils ont été aperçus à Kericho, dans la vallée du Rift", poursuit l'expert. "Ce qui est inquiétant, car Kericho est une région assez fraîche. C’est là que l’on produit le thé. Si ces insectes arrivent à survivre à Kericho, alors ils sont capables d’aller partout dans le pays."
Dans une grande surface de Nairobi dédiée uniquement aux fruits et légumes, les rayons sont encore pleins. "Pour l’instant, nous n’avons pas encore de problème d’approvisionnement", assure un manager. "Mais les agriculteurs là bas sont inquiets de ne plus pouvoir nous fournir leur production comme des citrons, des mangues ou encore des papayes."
La principale saison de récoltes menacée
Il faut dire que la propagation de l'insecte est impressionnante : le nombre de criquets se multiplie par 20 tous les trois mois. Il y a donc urgence, car la crise alimentaire que craignent les Nations-Unies était déjà là avant les criquets pèlerins. "L’invasion de criquets pèlerins pourrait clairement aggraver la faim et la malnutrition dans une région où près de 25 millions de personnes sont déjà en situation de grave insécurité alimentaire", alerte Jean-Baptiste Heral, directeur pour la Corne de l’Afrique chez Acted, une ONG qui répond aux besoins humanitaire des populations.
D’ici trois à quatre semaines, une nouvelle vague de criquets est attendue, en provenance de la Somalie. Car là-bas, la situation n’est toujours pas sous contrôle et les femelles continuent de pondre leurs œufs. "Les criquets sont venus au Kenya fin décembre. Et fin décembre c’était le moment des récoltes au Kenya", explique Jean-Baptiste Heral. "Donc on a eu de la chance sur cette récole-là. Elle n’a pas été trop affectée. Mais vu que là nous sommes entre deux saisons, la saison des pluies courtes qui se termine en décembre et la saison des pluies longues qui commence en mars-avril... C’est la saison principale en terme de récolte. C’est cette saison, extrêmement importante pour la majorité des fermiers, qui est à risque."