Yousef Sedik a quitté la Syrie il y a deux mois. Contrairement à la majorité de ses compatriotes qui ont eux aussi passé la frontière avec la Turquie, cet homme n’est pas un migrant en quête d’un nouvel eldorado quelque part en Europe. A 34 ans, cet ancien étudiant en littérature à l’université de Damas, est à la tête d’une agence de presse basée à Alep, dont il est venu parler à ses homologues européens.
Homme de convictions, farouchement opposé au régime du président Bachar al-Assad, Yousef Sedik a participé aux manifestations anti-régime. "Nous les Syriens sommes un peuple qui n’a qu’une aspiration : vivre en paix", confie-t-il au micro d’Europe 1. "Et si nous avons mené cette révolution contre le régime dictatorial, c’est parce que nous voulons vivre dans un pays démocratique comme l’est la France", explique-t-il en guise de préambule.
Lorsqu’en 2012, l'Armée Syrienne Libre prend le contrôle de 70 % du territoire d'Alep et de sa province, un afflux massif de journalistes du monde entier arrive dans la deuxième ville du pays. Yousef Sedik saisit alors l’opportunité et les aide. Il est alors traducteur, guide, fixeur.
Peu à peu, l’étudiant en littérature aiguise son savoir-faire et son regard sur la guerre qui l’entoure. Il crée alors, avec d’autres journalistes syriens, l'Aleppo Media Center (AMC) un centre de ressource pour les journalistes étrangers et les reporter-citoyens syriens qui veulent se former aux métiers du journalisme.
" Malgré les risques, l’espace numérique demeure l’espace le plus sûr aujourd’hui en Syrie "
Mais avec l’expansion des groupes djihadistes et la multiplication des frappes aériennes par la coalition internationale, les journalistes étrangers se font de plus en plus rares sur le terrain. Trop risqué. L’AMC devient alors un interlocuteur essentiel pour les grosses agences de presse comme l’agence France Presse (AFP) ou Reuters avec qui Yousef collabore régulièrement.
Tout n'est pas simple pour autant. "La communication est difficile en Syrie à cause des coupures d’électricité, de la destruction d’émetteurs ou encore du manque de main d’œuvre. La guerre a fait disparaître les canaux traditionnels d'information. Si quelques journaux sont encore imprimés dans certaines zones, ou si la télévision est encore regardée par certains, la vraie source d’information pour les Syriens de l’opposition, ce sont les réseaux sociaux", explique le directeur de l’AMC. "Nous utilisons donc des applications comme Viber ou Whatsapp pour informer la population", ajoute-t-il.
Les Syriens s’abonnent aussi à des listes ou des groupes sur Facebook et Twitter où ils reçoivent toutes les informations qui les concernent. "Cela peut être à propos de la vie pratique, des commerces, des accès à l’eau, à l’électricité, aux routes ; mais aussi sur des sujets plus politiques", confie Yousef Sedik. "Finalement, aujourd’hui, on peut dire que chaque Syrien est journaliste, car ce sont avant tout les habitants qui nous remontent des informations que nous allons ensuite vérifier", souligne-t-il.
Mais les réseaux sociaux n’échappent pas à l’œil de Damas et aux services de renseignement de Bachar al-Assad. De nombreux opposants et journalistes syriens ont été arrêtés, et ont même disparu dans les geôles du régime. Des risques que Yousef Sedik et ses équipes connaissent par cœur. "Mais nous avons dépassé le cap de la peur", confie-t-il, balayant d’un revers de la main le sujet. "Malgré ces risques, l’espace numérique demeure l’espace le plus sûr aujourd’hui en Syrie".
Yousef Sedik fait partie d'un groupe de quatre journalistes syriens de passage en France, début mars, dans le cadre d'un projet mené par le "Collectif des Amis d'Alep" basé à Lyon, baptisé "Porter la voix des journalistes d'Alep".