Avec le TGV, le Maroc pourrait, "d'une certaine manière, tourner le dos à l'Afrique"

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Grégoire Duhourcau

Le Maroc, qui va inaugurer la première ligne ferroviaire à grande vitesse d'Afrique, est "un cas à part" sur le continent africain, décrypte Clive Lamming, historien du chemin de fer, dans l'émission de Wendy Bouchard, lundi sur Europe 1.

Le Maroc s'apprête à disposer de la première liaison ferroviaire à grande vitesse d'Afrique. Emmanuel Macron sera présent jeudi au Maroc avec le roi Mohammed VI, afin d'inaugurer cette ligne entre Tanger et Casablanca. Le nouveau TGV baptisé "Al Boraq" pourra ainsi filer à 320 km/h sur les deux-tiers des 200 kilomètres séparant les deux villes, réduisant de plus de moitié le temps de parcours (2h10 au lieu de 5h précédemment). "C'est à peu près inexplicable si on regarde l'histoire du chemin de fer africain", explique Clive Lamming, historien du chemin de fer, au micro de Wendy Bouchard sur Europe 1.

"Chaque pays a créé son propre système qui était incompatible avec celui des autres"

"Inexplicable" car "il n'y a pas de chemin de fer africain au sens véritable du mot. Il n'y a pas de continent africain sur le plan ferroviaire". "L'Afrique a été longuement colonisée et chaque pays a créé son propre système qui était incompatible avec celui des autres." Le Maroc est donc "un cas à part" et, pour Clive Lamming, "ce n'est pas tout à fait l'Afrique" mais plutôt "le portail de l'Afrique".

L'espoir d'un tunnel pour "devenir européen". Car l'historien pense déjà au coup d'après. "Le Maroc n'est qu'à 14 kilomètres des côtes du continent européen". "Al Boraq", du nom d'un cheval ailé de la mythologie islamique, est donc un "prolongement naturel du TGV espagnol", estime-t-il. L'Espagne "a construit courageusement à peu près 1.800 kilomètres de lignes à grande vitesse" dans le but de "se raccorder à l'Europe" : "Le Maroc n'attendait que cela pour construire sa ligne avec l'espoir qu'il y aura le tunnel. S'il y a le tunnel, à ce moment-là c'est gagné, le Maroc devient européen" et une sorte de porte d'entrée de l'Europe vers l'Afrique, poursuit-il.

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici

Au total, la mise en place de cette ligne à grande vitesse a coûté deux milliards d'euros, dont un milliard financé par la France avec le travail de Vinci, la SNCF ou encore Alstom. Un projet coûteux, donc, mais "fondamental pour l'économie du pays si on estime que ce pays n'a d'avenir qu'avec l'Europe. C'est une certaine manière de tourner le dos à l'Afrique", estime Clive Lamming.

En termes de réseaux ferroviaires, "on fait aussi bien au Maroc et en Algérie qu'en France"

"La tranche méditerranéenne" de l'Afrique "a toujours été, de loin, la plus perfectionnée, la plus cohérente", explique l'auteur de Chemins de fer mythiques : l'histoire par les cartes (Chêne-EPA). En termes de réseaux ferroviaires, "on fait aussi bien au Maroc et en Algérie que l'on fait en France. Je dirais même mieux".

"Aucun moyen de transport n'est aussi performant" que le train. Sur le reste du continent, ce sont "des réseaux de type colonial" qui ont été construit : "La France faisait en Afrique ce qu'on l'on appelle des réseaux départementaux parce qu'on n'y croyait pas. Mais on croyait en l'Afrique du Nord." Le Maroc a eu "la chance d'avoir bénéficié" de cela "et a su toujours maintenir son réseau à un très haut niveau". Le pays "en recueille les fruits" aujourd'hui avec cette première ligne à grande vitesse du continent. Un véritable atout pour le Maroc car "aucun moyen de transport n'est aussi performant" que le train, que Clive Lamming décrit comme "une machine à transport de masse".