"La France va accueillir le premier procès sur les biens mal acquis." William Bourdon, l'avocat de l'ONG Transparency International (TI) France, n'a pas caché sa satisfaction, mercredi. Son association était l'une de celles à l'origine des poursuites lancées en 2008 à l'encontre, notamment, de Teodorin Obiang, fils du président de Guinée équatoriale. Ce dernier, soupçonné d'avoir acquis un patrimoine évalué à plusieurs dizaines de millions d'euros en France grâce à des fonds issus de la corruption et de détournements de fonds publics dans son pays, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris.
Mais il ne s'agit pas de la seule famille de dirigeant africain visée par la justice française. A la fin des années 2000, TI et l'association Sherpa ont mené un véritable parcours du combattant pour que des enquêtes soient ouvertes sur le patrimoine de trois chefs d'Etat : l'Equato-Guinéen Téodoro Obiang Nguema, père de Teodorin, mais aussi le Gabonais Omar Bongo - décédé en 2009 - et le Congolais Denis-Sassou Nguesso. La Cour de Cassation a finalement autorisé l'ouverture des investigations en novembre 2010. Ces dernières se poursuivent aujourd'hui.
Denis Sassou Nguesso, des millions issus du pétrole
Il cumule plus de 32 ans à la tête du Congo-Brazzaville. Âgé de 73 ans, Denis Sassou Nguesso est accusé d'avoir, avec son "clan", détourné des revenus issus de la manne pétrolière pour financer des dépenses en France. Au centre des investigations, des sociétés offshore à l'île Maurice, aux Îles Vierges britanniques, à Dubaï et Hong Kong qui auraient perçu, entre 2008 et 2011, plusieurs dizaines de millions d'euros du Trésor public congolais.
Le neveu du chef de l'Etat, Wilfried Nguesso, est en outre soupçonné de s'être enrichi par le biais de Socotram, une société congolaise de transports maritimes qui perçoit les droits et taxes sur le pétrole exporté du pays. Plusieurs biens immobiliers, dont une luxueuse demeure de 500m2 dans les Yvelines, ont été saisis par la justice française, qui soupçonne Wilfried Nguesso d'en être le véritable propriétaire.
Deux appartements parisiens, au nom de l'épouse du président congolais, ont également été confisqués, ainsi qu'une quinzaine de voitures de luxe appartenant à l'entourage du président. En février, Denis Sassou Nguesso a porté plainte en France, estimant que les pièces sur lesquelles sont fondées cette enquête "ne sont pas conformes à la réalité".
La SCI Emeraude du clan Bongo
La justice française s'intéresse également à la famille de l'ex-président gabonais Omar Bongo et son fils Ali, dont la réélection contestée a fait basculer le pays dans une grave crise politique, fin août.
Dans le viseur des juges : une société civile immobilière, la SCI Emeraude, qui a acquis une villa à Nice et un hôtel particulier dans le XVIe arrondissement de Paris, respectivement pour 1,75 et 3,5 millions d'euros. L'enquête a mis en lumière que cette société était en partie détenue par Omar Bongo, son épouse Edith, également décédée, et l'une des filles de l'ancien président, Pascaline.
La SCI Emeraude a été saisie en avril. Sa gérante française a alors été mise en examen. "Enfin, le chapitre Bongo s'ouvre, il ne fait que commencer", avait alors réagi l'avocat William Bourdon. D'après TI France, le patrimoine français de la famille Bongo est en effet loin de se résumer à cette société : document à l'appui, l'ONG affirme que l'ancien chef de l'Etat gabonais et son entourage possédaient en 2009 "33 propriétés, la plupart dans les quartiers les plus chics de Paris, les autres sur la Côte d'Azur", pour plusieurs centaines de millions d'euros. Mais les contours de l'héritage d'Omar Bongo, dont Ali est légataire universel, sont encore mal cernés par la justice française.
François Bozizé également visé
Un quatrième dirigeant africain a été mis en cause plus tardivement pour les conditions d'attribution de son patrimoine : il s'agit de François Bozizé, président déchu de Centrafrique. C'est l'Etat centrafricain lui-même qui a déposé plainte contre son ancien dirigeant, en novembre 2015, l'accusant d'avoir détourné des fonds publics. Une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile, a été déposée en mars dernier.
La République centrafricaine souhaite que la justice française s'intéresse à tous les avoirs français de celui qui fut chef d'Etat de 2003 à 2013, mais aussi de sa famille et d'anciens responsables gouvernementaux. La plainte évoque notamment le gisement d'uranium de Bakouma : après avoir acheté la société minière canadienne UraMin, le géant français du nucléaire Areva aurait versé des commissions à l'Etat centrafricain pour pouvoir exploiter cette mine.