Blocage au Congrès américain : les raisons d'une impasse historique

Chambre des représentants
Sans speaker, la Chambre des représentants se retrouve face à une impasse politique. © AFP
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Romain Rouillard , modifié à
Depuis trois jours, une poignée d'élus entravent l'élection du Républicain Kevin McCarthy à la tête de la Chambre des représentants où il devait succéder à la démocrate Nancy Pelosi. De quoi plonger le Congrès américain dans une crise politique inédite en près d'un siècle d'histoire récente.
DÉCRYPTAGE

Ce devait être l'heure de la consécration pour Kevin McCarthy. Successeur annoncé de Nancy Pelosi à la tête de la Chambre des représentants, l'un des deux organes formant le Congrès aux États-Unis, l'élu républicain a finalement vécu un véritable camouflet. Pour la première fois depuis 1923, l'élection du "speaker" - troisième personnage de l'État dans l'ordre protocolaire - n'a pas livré son verdict dès le premier tour. Après quatre autres tentatives infructueuses, le poste reste désespérément vacant, plongeant la politique américaine dans un blocage historique aux racines multiples.

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Kevin McCarthy (à gauche) n'a toujours pas réuni suffisamment de voix pour prendre la tête de la chambre des représentants.
Crédits : WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Un parti républicain fracturé 

Kevin McCarthy (57 ans) fait ainsi les frais de dissentions internes au sein des Républicains. Une frange ultra-conservatrice du parti, ayant prêté allégeance à Donald Trump, refuse obstinément d'accorder sa confiance à l'intéressé. Journaliste au JDD et spécialiste des États-Unis, François Clémenceau y voit là une parfaite illustration du mal qui gangrène le "Grand Old Party" depuis plusieurs années. "Il y a un vrai décalage entre les dirigeants du parti à Washington, certains élus et les militants", explique-t-il auprès d'Europe 1. A une poignée d'élus très trumpistes s'opposent des dirigeants républicains ayant ouvertement pris leur distance avec l'ancien président. Kevin McCarthy figure dans la deuxième catégorie.

Une prise de position que Donald Trump n'a jamais digérée. "Il le leur fait payer en utilisant un certain nombre de frondeurs, en les téléguidant et en les instrumentalisant", commente François Clémenceau. Ces trumpistes convaincus affichent une ressemblance troublante avec ces élus du Tea Party qui avaient déboulé de façon fracassante à la Chambre des représentants lors des midterms de 2010. A l'époque, ces frondeurs se démarquaient par leur hostilité vis-à-vis des élites, représentées, selon eux, par les dirigeants de leur propre parti. Une logique que l'on retrouve aujourd'hui dans cette vague de défiance qui s'abat sur les épaules de Kevin McCarthy, devenu ce vieux ténor du parti qu'il faut absolument déboulonner.

Des midterms décevants pour les Républicains

Par ailleurs, afin d'obtenir le poste de speaker, le candidat McCarthy doit récolter au minimum 218 voix dans une Chambre des représentants qui ne compte que 222 élus républicains en tout et pour tout. Sachant qu'une petite vingtaine d'entre eux s'opposent toujours à sa nomination, on comprend vite à quel point la marge de manœuvre s'annonce serrée. Une situation qui découle directement des résultats décevants obtenus par les républicains lors des élections de mi-mandat. En décrochant une frêle majorité à la Chambre des représentants - alors que d'aucuns prévoyaient un raz-de-marée - le parti devient alors à la merci d'une poignée d'élus capables à eux seuls de faire capoter un vote.

Mercredi, Donald Trump a pourtant sifflé la fin de la récréation, appelant ses ouailles à "voter pour Kevin". Néanmoins, François Clémenceau y voit davantage un "jeu de dupes" qu'une réelle volonté de normaliser la situation. "Trump sait très bien que des discussions ont lieu actuellement pour obtenir des gages de la part de McCarthy". Le candidat au poste doit désormais rassurer ces élus réfractaires quant à la tournure idéologique qu'il souhaite faire prendre au parti mais également se montrer conciliant s'agissant des affaires judiciaires qui gravitent autour de l'ancien président

"Le Congrès ne peut pas travailler tant qu'il n'y a pas de speaker"

Dans tous les cas, les dés semblent pipés pour Kevin McCarthy. "Soit il cède aux trumpistes et il aura les mains liés pendant deux ans (durée du mandat de speaker, Ndlr), soit il retire sa candidature", analyse François Clémenceau. Son rival Jim Jordan arriverait alors en embuscade mais "rien ne prouve qu'il fera consensus", tempère le journaliste. 

Sans speaker à la Chambre des représentants, la vie politique américaine se retrouve au point mort. "Le Congrès ne peut pas travailler tant qu'il n'y a pas de speaker. C'est lui qui définit l'ordre du jour, qui réunit les présidents de commission... C'est l'équivalent du président de l'Assemblée nationale chez nous", illustre François Clémenceau. Autrement dit, il y a urgence.