"Ce n'est pas la fin mais la fin du début des négociations". Suite à l’annonce vendredi matin d’un accord entre Londres et Bruxelles sur les conditions du Brexit, c’est le Premier ministre Irlandais Leo Varadkar qui a le mieux résumé la situation. Après neuf mois d’intenses négociations, l’accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne fait pousser un ouf de soulagement aux responsables politiques. Mais la phase 2, qui consiste à tisser les relations futures entre les deux entités, sera autrement plus compliquée.
"Le plus difficile est à venir". Le président du Conseil de l'UE Donald Tusk a donné le ton dans la foulée de l’annonce d’un accord, affirmant que "le défi le plus difficile" des négociations entre le Royaume-Uni et l'Union sur le Brexit était "à venir". "Nous savons tous que se séparer est dur mais se séparer et construire une nouvelle relation est encore plus dur", a prévenu Donald Tusk. Concrètement, le Royaume-Uni et l’UE se sont mis d’accord vendredi sur les trois points déterminant leur divorce : droits des citoyens britanniques qui vivent dans l’Union et inversement, absence de frontière physique entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, et respect des engagements financiers des Britanniques vis-à-vis de l’UE (le montant de 40 à 45 milliards d’euros circule, mais rien d’officiel).
"C’est une délivrance pour tout le monde", commente pour Europe1.fr Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman, un centre de recherches spécialiste sur l’Europe. "Pour faire simple, le bébé était en gestation depuis neuf mois (l’article 50 qui règle la sortie de l’UE a été activé en mars, ndlr) et on commençait à craindre que l’accouchement soit retardé. Finalement, il est né, un peu au forceps certes, mais il est là." En parvenant à ce compromis, Bruxelles et Londres ont donc fait un grand pas en avant.
" Il va donc falloir inventer un nouveau modèle de relations "
"Inventer un nouveau modèle de relations". Sauf qu’il a tout de même fallu neuf mois pour régler les problèmes les plus "simples". Résultat, les négociateurs du Brexit n’ont plus beaucoup de temps devant eux. Le Royaume-Uni doit officiellement sortir de l’UE le 29 mars 2019, ce qui laisse à peine plus d’un an pour reconstruire de nouvelles relations diplomatiques et commerciales. Or, le travail s’annonce titanesque. "Les Britanniques ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne veulent pas du statut de la Norvège ou de celui de la Suisse. Il va donc falloir inventer un nouveau modèle de relations extra-communautaires", explique Pascale Joannin.
Le "plutôt pas d’accord qu’un mauvais accord" qui prévalait dans l’esprit de Theresa May il y a encore peu de temps est désormais révolu. Le Royaume-Uni et l’Union européenne sont déterminés à coopérer le plus efficacement possible. Ce qui devrait grandement faciliter le travail des milliers de diplomates et juristes qui vont plancher pendant des mois sur les traités à établir entre l’UE et son ancien membre.
Le commerce avant tout. L’UE étant avant tout une union européenne, le plus gros morceau sera l’accord commercial. Les Britanniques entendent sortir "du marché unique car ils ne veulent pas respecter les quatre libertés (notamment la liberté indissociable des trois autres, la liberté de circulation des personnes)", a déclaré Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, vendredi. Ils souhaitent également sortir de l'Union douanière pour retrouver "leur souveraineté en matière de négociations commerciales". "Et puis au-delà de tout cela ils ne veulent plus reconnaître le rôle de la Cour européenne de justice", a ajouté Michel Barnier.
" Il est certain que l’on n’aura pas terminé en mars 2019 "
En superposant "les lignes rouges britanniques" avec les différents modèles possibles, il reste une seule solution : un accord de libre-échange "sur le modèle du Canada", juge Michel Barnier. "On sait fabriquer des accords de libre-échange, on l’a encore vu récemment avec le Ceta et le Tafta, même s’ils sont contestés. Techniquement, on a le savoir-faire. Mais là c’est encore autre chose. Il faut tout détruire pour tout reconstruire", analyse Pascale Joannin. A titre de comparaison, l’UE a signé plus de 200 traités avec la Suisse. "Cette fois, il faudra prendre en compte les spécificités du Royaume-Uni, qui est très proche de nous géographiquement, et qui a quand même fait partie de l’UE pendant 44 ans, ce n’est pas rien", ajoute la directrice générale de la Fondation Robert Schuman.
Période de transition. Il n’y a pas que le libre-échange qui va occuper les négociateurs dans les mois à venir. "Il y aura aussi la question des agences. Même si les Britanniques quittent l’UE, il sera dans l’intérêt de tous qu’ils restent représentés dans certaines agences, notamment celles qui ont trait à la sécurité, au renseignement et à la défense. Après tout, le terrorisme ne connaît pas de frontières", souligne Pascale Joannin. Autre sujet, qui concerne tous les citoyens de l’UE : la circulation des personnes. Il y a fort à parier que l’UE réclame l’absence de visa pour se rendre au Royaume-Uni. Plus globalement, tous les liens sont à retisser.
La masse de travail est donc colossale. "Il est certain que l’on n’aura pas terminé en mars 2019", estime Pascale Joannin. Bien conscient que les délais sont courts, Londres et Bruxelles se sont mis d’accord vendredi pour mettre en place, à compter du 30 mars 2019, le premier jour des Britanniques hors de l’UE, une période de transition, "d’environ deux ans", le temps de finaliser les nouveaux traités. Durant cette phase d’ajustement, le Royaume-Uni restera dans l'union douanière et dans le marché unique et sera toujours soumis à la législation européenne, mais ne participera plus aux prises de décisions au sein de l'UE. Le début, selon Pascale Joannin, d’une nouvelle ère : "Le Royaume-Uni a longtemps été dans l’UE avec un pied dehors. Maintenant, il faut dessiner un futur où il sera dehors avec un orteil dedans".