En mai 2016, un mois avant le référendum du Brexit, le gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE) alertait sur les risques économiques dramatiques d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Mark Carney évoquait alors une possible situation de récession, un effondrement de la livre sterling, une hausse du chômage, une baisse conséquente de la consommation et de l’investissement et une hausse des prix. Dans la foulée, le ministre des finances britannique de l’époque, George Osborne, en rajoutait une couche : "le Royaume-Uni serait plus pauvre" en cas de Brexit, affirmait-il. Le 24 juin au petit matin, quelques heures après le référendum, les principales bourses européennes s'étaient effondrées, celle de Londres perdant 2,5% en quelques heures.
Leaving EU would stoke inflation & hit growth, leaving MPC with no-win choice on interest rates. UK would be poorer https://t.co/pfg1rBArlw
— George Osborne (@George_Osborne) 12 mai 2016
Pratiquement un an plus tard, le Royaume-Uni semble avoir fait mentir les prévisionnistes. La plupart des économistes britanniques, à commencer par ceux de la Banque d’Angleterre, font leur mea culpa depuis plusieurs mois. A raison : les faits ne correspondent pas à leurs prévisions. En 2016, le Royaume-Uni a affiché une croissance de 2%, tout simplement la meilleure performance parmi les pays occidentaux, grâce à un inattendu +0,6% au quatrième trimestre.
Une économie résiliente…
Le décalage entre les prévisions (la Banque d’Angleterre anticipait 1,4% pour 2016 en novembre) et la réalité s’explique par la consommation des ménages, restée stable malgré les incertitudes liées au Brexit, preuve que les Britanniques ne sont pas inquiets quant à leur avenir. Or, les prévisionnistes avaient en grande partie tablé sur une chute de la consommation. Cette confiance a également poussé l’Office for Budget Responsability (OBR), l'organisme public qui établit les prévisions économiques servant de référence au budget, à revoir sa prévision de croissance pour 2017 de 1,4% à 2%. C’est la deuxième fois depuis novembre qu’il rehausse ses prévisions.
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Taux de chômage au plus bas. Autre statistique rassurante pour le Royaume-Uni : l’emploi. Le taux de chômage n’en finit plus de descendre. Il a atteint 4,7% en février dernier, son plus bas niveau depuis août 2005. Il faut même remonter à 1975 pour trouver trace d’un taux de chômage inférieur. Le référendum du Brexit n’a pas infléchi la tendance puisque le taux a baissé de 0,2 point en un an. L’amélioration est moins nette qu’il y a deux ou trois ans mais le Brexit n’a rien à voir là-dedans : le Royaume-Uni est quasiment en plein-emploi, le taux de chômage ne peut descendre beaucoup plus bas.
La Banque d’Angleterre a donc été forcée de réviser ses prévisions. En novembre, elle anticipait un taux de chômage de 5% début 2017, 5,5% début 2018 et 5,6% début 2019. Désormais, elle table sur une évolution stable : respectivement 4,9%, 5% et 5%.
… mais qui se craquèle
Tout ne va pas bien pour autant au Royaume-Uni. Outre-Manche, le niveau de la livre continue d’inquiéter. Au lendemain du choc du Brexit, le 24 juin 2016, la livre avait plongé. En quelques jours, la monnaie britannique perdait 12% de sa valeur face à l’euro. Le plus bas a été atteint mi-octobre : la livre valait alors 1,10 euro, contre 1,31 avant le référendum. Depuis, elle a un peu remonté la pente mais sa valeur est toujours inférieure de 9% par rapport à juin 2016.
Hausse du prix des importations. Cette dépréciation s’est traduite par un bond du prix des produits importés. "Hors produits pétroliers, l’indice des prix à l’importation a vu son glissement annuel atteindre un pic, en novembre 2016, à 9,4%. Pour mémoire, cet indice avait reculé aussi bien en 2014 qu’en 2015. A ce mouvement s’est ajouté le redressement des prix du pétrole, et le prix des produits importés est sur une pente annuelle de 10% depuis octobre 2016", explique Alexandra Estiot, économiste spécialiste du Royaume-Uni chez BNP Paribas contactée par Europe 1.
Retour de l'inflation. Résultat, la vie coûte plus cher qu’avant au Royaume-Uni. L’inflation grimpe doucement mais sûrement. En janvier, les prix à la consommation ont augmenté de 1,8% par rapport au même mois en 2016, portés notamment par les denrées alimentaires et l’essence. En février et mars, le glissement annuel de l’inflation est monté jusqu’à 2,3%, un niveau plus observé depuis deux ans et demi. Les banques britanniques anticipent désormais une inflation de 3% en fin d’année et la Banque d’Angleterre attend 2,7% début 2018 et 2,6% début 2019.
Résultat, les ventes de détail stagnent. Si on exclut les denrées alimentaires, elles ont même diminué de 0,8% au premier trimestre 2017. "Cela ne fait que commencer. La consommation sera au coeur de l'évolution de l'économie britannique ces prochains mois. Il y a de fortes chances pour qu'elle soit responsable du ralentissement de la croissance du PIB au premier trimestre, à 0,3%", précise Alexandra Estiot.
L’économie retient son souffle
Pour l’instant, l’économie britannique limite les dégâts et la situation pourrait être résumée ainsi : "pour l’instant, tout va bien". Mais le Brexit n’a pas réellement commencé. L’article 50 a été déclenché mais les négociations se font encore en coulisses. Bruxelles est actuellement en train de fixer ses exigences dans la procédure de sortie du Royaume-Uni mais il faut encore attendre un peu avant de se faire une idée sur l’avenir de l’économie outre-Manche.
Le Royaume-Uni retient son souffle. "Les emprunts contractés par les entreprises comme par les ménages ont quelque peu diminué depuis le début de l'année, c'est un premier signe du ralentissement progressif de l'activité attendu pour 2017", notait, fin mars, Boris Glass, économiste à l'agence de notation S&P Global. Cette incertitude incite les économistes de l’Office for Budget Responsability à la prudence pour le moyen et long terme. L’organisme prévoit une croissance de 1,6% en 2018 (contre 1,7% prévu en novembre), 1,7% en 2019 (contre 2,1%), 1,9% en 2020 et 2% en 2021.
Les approximations de Marine Le Pen
Partisane d’une sortie de l’euro et de l’Union européenne, Marine Le Pen s’appuie régulièrement sur l’exemple, selon elle positif, du Brexit. Le 21 avril, elle affirmait sur Europe 1 que le gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE) avait reconnu avoir "prédit un ralentissement plus violent que ce qu’il s’est réellement passé". La candidate frontiste fait référence à une prise de position d’Andrew Haldane, non pas le gouverneur mais le chef économiste de la BoE. Début janvier, ce dernier a en effet fait tenu de tels propos.
Mais en réalité, Andrew Haldane exprimait plus globalement une remise en cause de sa profession, appelant à intégrer les "comportements irrationnels" dans les modèles de prévision des économistes. Il pointait du doigt plus les ratés concernant la crise de 2008 que personne n’avait vu venir, que le Brexit. D’ailleurs, il a précisé le fond de sa pensée sur ce point : "La résilience de la consommation et de l’immobilier a été plus forte qu’escomptée, c’est vrai. Est-ce que cela nous a amené a changé fondamentalement nos prédictions pour l’avenir de notre économie au cours des prochaines années ? Pas vraiment". La Banque d’Angleterre maintient en effet que le Brexit aura des conséquences néfastes sur l’économie britannique, seulement plus tard que prévu.