Plus on les sonde, moins on en sait. Alors que les Britanniques votent jeudi pour savoir s’ils se maintiennent ou non dans l’Union européenne, les enquêtes d’opinion se sont succédées toute la campagne sans pouvoir désigner un favori. Si pendant de longues semaines, les tenants du "out" et de la sortie de l’UE étaient en tête, le meurtre de la députée travailliste et pro-européenne Jo Cox a rebattu les cartes une semaine avant le scrutin. A tel point que mercredi, deux sondages placent encore le "out" en tête d’un cheveu alors qu’un autre annonce une victoire étriquée du "in", rapporte le Financial Times. En revanche, tous les observateurs s’accordent sur un chiffre qui devrait être déterminant pour la suite : mercredi, 9% des électeurs n’avaient toujours pas choisi quelle case cocher sur le bulletin de vote. Et pourraient faire basculer le scrutin d’un côté comme de l’autre. Mais quelle que soit l’issue du vote, la campagne a déjà livré son lot d’enseignements. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est profondément divisé en deux camps : l’un, eurosceptique, porté par la peur d’une vague migratoire et convaincue que l’Union européenne coûte trop cher au pays qui reste l’un des principaux contributeurs au budget communautaire. Et l’autre, pro-européen sans être forcément europhile, convaincu que l’accès au marché unique européen est la clé du succès économique britannique. Entre ces deux camps, un fossé idéologique s’est creusé. Et souligne les lignes de fracture au sein de la société.
- Une ligne de fracture générationnelle
C’est la plus évidente, et celle qui sera la plus déterminante pour le scrutin. Le Royaume-Uni est divisée entre sa jeunesse majoritairement pro-européenne et ses seniors eurosceptiques. Une enquête relayée par Le Monde expliquait que 63% des 55 ans et plus des trois classes les moins favorisées (sur les six établies dans l’étude) affirment soutenir la sortie de l’UE. A l’inverse, 58% des 18-25 des trois classes les plus aisées penchent pour le maintien dans l’Union. Un sondage Yougov affirmait même que 61% des 18-25 ans, toutes classes confondues, voulaient rester dans l’UE.
C’est la raison pour laquelle le taux de participation de la jeunesse britannique sera un facteur déterminant pour les résultats du scrutin. En effet, les citoyens les plus jeunes se mobilisent traditionnellement moins que leurs aînés. C’est tout l’enjeu de la campagne qui, particularité locale, se poursuivra jusqu’à la fermeture des bureaux de vote. Jeudi, les partisans du "in" poursuivent donc leur travail de sensibilisation auprès des jeunes en espérant en pousser un maximum jusqu’aux urnes. Sarah Pickard, maître de conférences en civilisation britannique à la Sorbonne, avançait sur le site de Libération : "Il suffit que 1% de plus des 18-25 ans vote pour que le non au Brexit l’emporte."
- Une ligne de fracture sociale
Cette division générationnelle recoupe aussi une fracture sociale au sein de l’électorat britannique. "Le niveau social est encore plus déterminant que l'âge. Plus on est diplômé, plus on est favorable au maintien dans l'Union", analyse Sara Hobolt, de la London School of Economics, sur le site des Echos. Un sondage mené par l’institut ICM et rapporté par le site Grey Britain, rapportait ainsi que 68% des salariés qualifiés comptaient voter pour le maintien dans l’Union. A l’inverse, un nouveau sondage Yougov, rapporté par L’Express, affirme que 50% de la classe ouvrière soutiendrait le Brexit. Une division bien résumée par le député travailliste Andy Burnham, partisan du "in" et déçu par la campagne menée par le Labour : "Nous avons été trop Hampstead (un quartier chic de Londres, ndlr) et pas assez Hull (une ville ouvrière non loin de Leeds, ndlr)." Voilà pourquoi il sera intéressant d’observer les résultats des circonscriptions estampillées "classes populaires", comme celles de Sunderland, qui tomberont en premier.
- Une ligne de fracture géographique
Dernier marqueur des distensions au sein de la société britannique, le territoire. Géographiquement, cela peut se résumer à cette phrase de l’ancien président de l’institut de sondage Yougov, Peter Kellner : "C’est la province anglaise contre Londres et les Celtes." En effet, dans la capitale britannique, 60% de la population serait favorable au maintien dans l’Europe. Interviewé par l’AFP, le professeur Ron Johnston, spécialiste de la géographie électorale, fait lui aussi le lien entre cosmopolitisme de la population et sentiment pro-européen : "Londres a une population habituée aux échanges avec l’Europe, mieux éduquée et qui voit d’un bon œil la mondialisation." Même conclusion pour les autres grandes agglomérations du pays, dans lesquelles le vote "in" sera porté par les étudiants et la jeunesse.
L’Ecosse, elle, est aussi un des bastions du "in" pour des raisons différentes, la population se sentant parfois plus proche de Bruxelles que de Londres. De plus, la popularité du SNP (Scottish National Party), soutien ferme du maintien dans l’Europe, devrait contribuer à une forte mobilisation. Pour le parti indépendantiste, défendre l’Europe, c’est indirectement plaider pour la cause écossaise. L’Irlande du nord et le pays de Galles sont également favorables au statu quo.
Il faut donc aller dans la "Green belt", la ceinture agricole entourant les grandes agglomérations anglaises, pour trouver les plus fervents soutiens du Brexit. Les habitants de ces régions soutiennent la sortie de l’UE, effrayés pour la plupart par le "spectre migratoire" dont Nigel Farage et le Ukip font leurs choux gras. L’autre bastion du parti nationaliste comprend les stations balnéaires anglaises qui, bien loin de leur lustre passé, sont aujourd’hui tombées en désuétude. Pour avoir les premières indications sur les résultats du scrutin, il faudra donc regarder du côté de ces circonscriptions, comme celle de Clacton, sur la côte Est, où officie le seul élu Ukip, Douglas Carswell. Si le "in" résiste sur ce territoire, il aura de bonnes chances de l’emporter au niveau national. Ce que semblent croire les bookmakers, qui donnent le maintien dans l’UE gagnant à presque 80%.