C'était un litige de 30 ans entre Rome et Paris. Emmanuel Macron a décidé mercredi d'y mettre fin en ordonnant l'arrestation de dix ex-membres des Brigades rouges réfugiés en France, dont sept ont été interpellés et trois sont toujours recherchés. Ils ont tous été condamnés en Italie pour des actes de terrorisme dans les années 1970-1980, à des peines allant jusqu'à la perpétuité. Le Premier ministre italien Mario Draghi a aussitôt exprimé sa "satisfaction".
La décision d'Emmanuel Macron est le fruit de mois de tractations avec Rome, qui a réduit ses demandes d'extradition de 200 personnes à dix depuis son élection. Une décision de poids puisque depuis 1981, seuls deux décrets d'extradition avaient été signés, en 2002 et 2004 par Jacques Chirac.
Qui sont les Brigades rouges ?
Fondées en 1973 par le sociologue Renato Curcio et prônant l'idéologie marxiste-léniniste, les Brigades Rouges (BR) sont un groupuscules d'extrême gauche actif en Italie dans les années 1970-1980. Elles ont commis leur première action violente avec la prise en otage du directeur du personnel des usines Fiat en 1973 et ont signé ensuite plusieurs attentats, multipliant assassinats et enlèvements. Condamnés en Italie, beaucoup d'ex-membres ont par la suite trouvé refuge en France.
Pourquoi maintenant ?
Jusqu'ici régnait en France la "doctrine Mitterrand". L’ancien président socialiste avait accepté d’accueillir les militants d’extrême gauche italiens à condition qu’ils abandonnent les armes et qu’ils n’aient pas commis de crime de sang. Mais cette dernière condition n'a finalement pas été véritablement appliquée.
Pour l'historien Marc Lazar, spécialiste de l'Italie, la décision du chef de l'Etat s'explique à la fois par des considérations de politique intérieure et extérieure. "D'abord, depuis quelques semaines, Emmanuel Macron a fait des questions de sécurité l'une des ses priorités. Il envoie donc un message de fermeté. Ensuite, le climat est en ce moment excellent entre Paris et Rome. Il mise sur ses rapports avec l'Italie dans un moment où plane une certaine incertitude sur son partenaire allemand, puisqu'on ne sait pas encore qui succèdera à Angela Merkel", analyse-t-il jeudi sur Europe 1.
Qui sont les victimes qui réclament justice ?
Entre 1969 et 1980, "362 personnes ont été tuées par ces terroristes et 4.490 blessés", a affirmé mercredi le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qui s'est dit "fier" de participer à cette décision. En Italie, plusieurs associations de victimes militent depuis 40 ans pour le retour et l'emprisonnement des membres des Brigades rouges. Aujourd'hui à la tête de l'une de ces organisations, Roberto de la Roca, alors jeune chef du personnel dans une grande entreprise italienne, avait été pris pour cible en 1980 dans les rues de Gènes. Deux individus armés et au visage masqué lui avaient tiré plusieurs balles dans les jambes, le blessant grièvement, avant de prendre la fuite.
A 73 ans, il place beaucoup d'espoir en la décision d'Emmanuel Macron. "Pour nous qui avons subi ces atrocités, justice sera enfin faite contre ceux qui ont tué et blessé, après des dizaines d’années. L’Etat français a créé ce système de protection des assassins mais il semble que la France a maintenant à notre égard une sensibilité qui n’avait jamais existé avant", confie-t-il au micro d'Europe 1.
Quand auront lieu les extraditions ?
"La France a été touchée par le terrorisme et ne peut que comprendre ce besoin de justice très fort des Italiens. Nous sommes dans un espace judiciaire européen, il est normal que les condamnations soient exécutées", a fait valoir l'Elysée pour qui "la sensibilité de l'opinion publique et du gouvernement aux actes de terrorisme et aux victimes a beaucoup évolué".
Si la décision du chef de l'Etat a eu immédiatement un fort retentissement, le retour des dix ex-membres des Brigades rouges "va prendre du temps", rappelle Marc Lazar. "Ce n'est pas parce que l'on décide de leur arrestation que leur extradition va avoir lieu dans la foulée. La justice avance à son rythme, même si Eric Dupond-Moretti dit qu'il souhaite aller vite." Aucune extradition n'aura lieu selon lui avant au moins un an et demi. Il conclut : "Le geste d'Emmanuel Macron est surtout politique."