Après huit ans de guerre, le président russe Vladimir Poutine, parrain des séparatistes pro-russes, a annoncé lundi soir dans une allocution télévisée le déploiement de son armée à l’est de l’Ukraine pour "maintenir la paix". Ce mardi, l'éditorialiste Vincent Hervouët revient sur cette actualité internationale brûlante et nous livre son analyse de la situation.
On ne peut pas dire que le Kremlin ait braqué la banque
Tout ça pour ça ? Le Kremlin a donc reconnu les deux états croupions du Donbass, peuplés de Russophones et qu’elle tient à bout de bras depuis huit ans, deux Républiques populaires de misère, grandes comme trois départements français, mais qui sont un cul-de-sac, 3 millions d’habitants avec un maximum de chômeurs et de vieillards, un taux d’alcoolisme impressionnant, une industrie lourde qui est à la casse… On ne peut pas dire que le Kremlin ait mis la main sur un trésor. Qu’il ait braqué la banque.
La première question, c’est pourquoi la Russie annexe le Donbass en y envoyant son armée, alors que depuis huit ans, elle arme les apparatchiks locaux et finance ces arpents de neige sans reconnaitre leur indépendance ? La réponse, c’est l’étrange leçon du professeur Poutine hier, engoncé dans son fauteuil, infligeant ce cours magistral de 65 minutes, sans prompteur et sans sourire, sa colère froide, refaisant l’histoire impériale à sa façon… Cela plait aux Russes, toujours patriotes.
Hafez el-Assad le tyran syrien infligeait le même genre de fresque à ses visiteurs français, venus plaider pour le Liban et tenter (en vain !) d’amadouer le raïs dont on connaissait la capacité de nuisance. Poutine comme Assad prend sa revanche de l’humiliation, c’est la même paranoïa face à l’occident, le même mépris, notamment de la vérité, la même nostalgie impériale, le même ressentiment qui jamais ne désarme.
L’Europe promet de réagir avec fermeté…
Oui, bien sûr… Ce sont les actes qu’on attend avec curiosité, la surenchère des déclarations indignées n’intimide pas Vladimir Poutine. Les États-Unis ont décidé dès lundi soir de prendre des sanctions contre Donetsk et Lougansk, comme si les apparatchiks locaux importaient des Cadillac ou prenaient leurs vacances à Malibu.
L’Europe n’a aucune ambition stratégique, elle n’a même pas voulu du dialogue avec la Russie auquel l’invitaient Emmanuel Macron et Angela Merkel l’an dernier. Mais elle a assez de bon sens pour éviter une crise du gaz comme il y a eu une crise du pétrole, dans les années 70.
Si Poutine s’en tient là, s’il annexe de facto le Donbass et oublie qu’il voulait une négociation globale sur la sécurité avec l’engagement de l’Otan de ne pas s’étendre davantage et qu’il n’a rien obtenu de Joe Biden, ce sera un intense soulagement.
Il a gagné le Donbass, mais il aura perdu l’Ukraine et la partie avec Washington
Dans quelques semaines, le Venezuela, le Nicaragua, la Syrie et le Vanuatu reconnaîtront les deux Républiques populaires comme ils l’avaient fait il y a quinze ans pour l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, arrachés à la Géorgie après une guerre éclair, et cela ne fera même pas une brève dans les journaux.
Malheureusement, le déploiement de l’armée russe le long de la ligne de démarcation avec l’ordre de maintenir la paix, c’est-à-dire au contact direct de l’armée ukrainienne, fait courir un risque majeur. C’est une épée de Damoclès pointée sur Kiev. La crise va s’aggraver, s’étendre, elle va s’éterniser.
Paris s’indigne de la dérive idéologique de Poutine
La France est offensée, parce que les longs tête-à-tête avec Emmanuel Macron n’ont servi à rien. Vladimir Poutine a gagné du temps. Les accords de Minsk jamais respectés, le format de Normandie, toute cette diplomatie flatteuse était en papier et il en a fait des confettis. En guise de bilan provisoire, on peut ajouter que l’Amérique peut se réjouir. L’Otan retrouve une raison d’exister. L’Ukraine amputée n’y sera jamais admise mais si elle l’avait été, elle serait intacte, CQFD.
La Chine aussi peut se frotter les mains. Vladimir Poutine a fait attention à respecter la trève olympique. En tournant le dos à l’Europe, il se condamne à l’alliance avec Pékin. Ce qu’il fait au Donbass relativise ce qui se passe à Hongkong, ce qui risque d’arriver à Taïwan."