En Turquie, l'arrivée de réfugiés en provenance de Syrie est massive : la proportion est de 360 réfugiés syriens pour 10.000 Turcs. En comparaison, en France, pour 10.000 habitants, on accueille moins de deux Syriens. Une partie de ces réfugiés vivent dans des camps installés près de la frontière, où la vie s’organise, après la fuite. Pour s’en rendre compte, Europe 1 s'est rendu dans le camp d’Aktchakalé, où 60% des réfugiés sont des enfants.
C'est à la sortie nord de la ville, au milieu des champs de cotons et le long de la route empruntée par les poids lourds qui transporte la récolte, qu’a été installé, le camp de réfugiés d’Akçakale. Un grand portique, un peu rouillé, indique l’entrée. Ici les tentes de toile beige s’étendent à perte de vue.
"Ma maison me manque, ma ville ma manque". C'est dans l'une d'elles que je rencontre Naram, une jeune fille de 14 ans aux longs cheveux noirs. Elle en avait que 10 quand elle arrivée ici avec son père Hamid, sa mère Nawal et ses cinq frères et sœurs. "Nous sommes arrivés le 5 octobre 2012. Nous étions en voiture, nous avons passé la frontière turque. Tout s’est bien passé, mais ma maison me manque, ma ville ma manque et mon oncle aussi. Il n’a pas pu partir, il est toujours en Syrie. Il me manque beaucoup".
La famille a fui la maison familiale de Deir ez-Zor dans l’est de la Syrie, un souvenir douloureux. Naram ne m'en dira pas plus. Sa vie, c’est ici désormais : dans le camp, dans cette tente de 12 mètres carrés. "Tu vois je dors là, nous faisons la cuisine et nous prenons les repas là-bas". La visite est vite faite : la tente ne compte que deux espaces distincts, donc les huit membres de la famille dorment tous ensemble.
(L’Unicef a ouvert plusieurs école dans le camp d’Akçakale. Au total 122 classes accueillent les enfants".)
"Il faut se préoccuper de leur avenir". Alors à la moindre occasion, Naram s'évade de la tente familiale : "Tu sais, je vais à l’école ici, je suis en classe de 4 ème, mais je veux continuer à étudier. Et puis, grâce à Dieu, j’ai plein d’amies ici. On va ensemble à l’école, on fait nos devoirs ensemble. C’est bien».
Naram, comme une majorité d’enfants du camp, est scolarisée dans l’une des 112 classes ouvertes par l’Unicef avec l’aide d’autres associations comme le Croissant rouge. Khitam, y enseigne depuis quatre ans. Pour elle l’éducation, c'est la possibilité pour ces enfants syriens de s'en sortir. "Les Syriens sont des gens éduqués. Nous devons donc continuer à éduquer nos enfants, c’est essentiel. On sait très bien que la crise syrienne va durer encore longtemps donc nous n’avons pas le choix. Il faut se préoccuper de leur avenir".
A VOIR. Le reportage de Maud Descamps dans "Les carnets du monde".
"Nous n’avons pas la même vie. La mienne est bien plus dure". Dans le bâtiment d’à côté, le centre de loisirs. Naram et les autres jeunes filles du camp peuvent venir se détendre. Gofran a 16 ans, elle y travaille comme bénévole. Mais ses projets pour l’avenir sont bien plus grands. "Quand j’étais en Syrie, je voulais être médecin. Puis on est venus en Turquie et j’ai commencé à travailler au centre de loisirs, mais je voudrais poursuivre mes études et rejoindre un jour le Croissant rouge. Et qui sait, un jour, je pourrais peut-être réaliser mon rêve. Mais tu sais, je regarde la télévision, je vois bien les autres filles de mon âge, on n’a pas du tout la même vie. J’ai beaucoup plus de responsabilités. Je dois étudier et je vis dans une tente. Nous n’avons pas la même vie. La mienne est bien plus dure".
Quand le centre ferme ses portes, Gofran, Naram et les autres jeunes filles rentrent chez elles retrouver leur famille. Et quand Naram a fini d’aider sa mère à la préparation du repas, elle profite de quelques minutes de détente devant la télévision, le seul objet de valeur dans la tente de la famille : "J’adore regarder les films de Bollywood ! C’est divertissant !".
"Pour nous, l’éducation est essentiel". Le papa est sur une autre ligne : "moi je ne regarde que les informations, mais on se dispute gentiment pour savoir ce qu’on va regarder. Les filles veulent voir des films. Quand elles gagnent, je lis le Coran… Pour nous, l’éducation est essentiel, alors il y a des règles : elles vont à l’école, puis à la mosquée, et quand elles ont fini, elles ont une heure pour jouer avec leurs amies puis elles rentrent à la tente."
Si les conditions de vie sont difficiles, Naram sait qu'il y a tout de même un espoir de vivre un jour dans ce qu'elle appelle "une vrai maison". Depuis l’ouverture du camp en 2012, 56 jeunes réfugiés ont intégré une université turque. Un rêve pour Naram, qui n’a qu’un rêve : "devenir docteur. C'est vrai, sauver des vies, c'est bien le plus important".