Il a suffi d'une semaine pour faire tomber l'un des rares chefs de gouvernement européens qui apparaissait indéboulonnable. Mariano Rajoy, Premier ministre conservateur espagnol aux manettes depuis plus de six ans, a été emporté par une motion de censure adoptée par les députés vendredi. Celui qui a pourtant survécu à une crise économique majeure, à l'impopularité de ses mesures d'austérité, puis à la crise catalane l'année dernière, s'est enlisé dans un scandale de corruption. Il a cédé le pouvoir à Pedro Sanchez, à la tête du Parti socialiste (PSOE).
Un budget bien bouclé…
La semaine avait pourtant parfaitement commencé pour Mariano Rajoy. Malgré un gouvernement en minorité, le Premier ministre a réussi à faire adopter le budget annuel la semaine précédente. Une manœuvre rendue possible grâce à une concession : la promesse de revaloriser les retraites, contre le soutien des nationalistes basques. Le compromis, coûteux puisque la réforme des retraites était une promesse de longue date de Rajoy, semble alors en valoir la chandelle : il éloigne la menace d'élections anticipées et garantit (croit-on savoir) au chef du gouvernement de terminer sa législature, jusqu'en 2020.
…et une victoire de courte durée
Mais la sensation de victoire est de courte durée. Dès le lendemain, jeudi 24 mai, le verdict du tribunal de l'Audience nationale tombe dans l'affaire "Gürtel", qui vise plusieurs élus du Parti populaire (PP) que dirige le Premier ministre. C'est l'hécatombe. Le tribunal dénonce un "système de corruption généralisé", la "manipulation de marchés publics" et l'existence d'une "caisse noire" au sein du parti. Une trentaine de personnes, dont une douzaine d'anciens cadres ou élus du PP écopent d'années de prison. La crédibilité de Mariano Rajoy, qui avait nié toute erreur de comptabilité à plusieurs reprises, est mise en doute.
Motion de censure
Ni une, ni deux, le leader du PSOE, Pedro Sanchez, dépose vendredi 25 mai une motion de censure contre le Premier ministre. Mais à ce moment-là, Mariano Rajoy ne semble pas réellement menacé. Pour qu'elle aboutisse, la motion doit recevoir l'assentiment de 176 députés espagnols. Or, le PSOE dispose d'à peine plus de 80 sièges. Largement insuffisant, et les débats prévus jeudi 31 mai, avant un vote vendredi, sont abordés sereinement par le gouvernement.
Que s'est-il donc passé pour que le vent tourne ? Pedro Sánchez a réussi à rassembler une majorité hétéroclite autour de lui. D'abord en ralliant à sa cause les élus de Podemos, puis les indépendants catalans. Et enfin, les nationalistes basques du PNV… qui avaient pourtant permis à Mariano Rajoy de voter son budget une semaine plus tôt. Jeudi soir, la destitution du Premier ministre était déjà quasiment actée.
Lorsqu’il a appris que les basques allaient voter la motion de censure et que c’était cuit pour lui, Rajoy est allé au resto et a seché les débats de l’apres midi au congrès.
— Henry de Laguérie (@henrydelaguerie) 31 mai 2018
Il en est sorti à 22h #MarcaEspañahttps://t.co/CtCjYlmBQS
La revanche de Pedro Sánchez
Elle est devenue officielle vendredi matin, Mariano Rajoy reconnaissant sa défaite avant même le vote. Finalement, 180 députés se sont prononcés pour sa destitution. Pour Pedro Sanchez, qui a pris sa suite, c'est une véritable revanche. En 2016, il avait déjà déposé une motion de censure contre le Premier ministre conservateur, en vain. Au mois de juin la même année, le PSOE avait fait le pire score de son histoire aux élections législatives, entraînant le débarquement de ce professeur d'économie. Pedro Sanchez a finalement fait son grand retour l'année dernière, ferraillant contre les barons socialistes pour reprendre les rênes de sa famille politique.
À 46 ans, celui qui est surnommé "el guapo" (le "beau gosse") en Espagne arrive donc à la tête d'un nouveau gouvernement. Mais la partie ne sera pas aisée. De fait, il n'a aucune majorité stable et le ralliement d'autres formations à la faveur de la motion de censure ne signifie aucunement qu'il aura leur blanc-seing pour mener à bien une politique qu'il veut sociale. Pedro Sanchez le sait, et a déjà promis de convoquer des élections.