Que reste-t-il des rêves de la jeunesse égyptienne qui avait participé au Printemps arabe ? Cinq ans après la chute d’Hosni Moubarak, les autorités égyptiennes multiplient les arrestations de militants et lancent une grande campagne de communication sur les réseaux sociaux pour vanter l’Egypte d’aujourd’hui. Pas un mot, en revanche, sur les arrestations.
Une fausse image de l’Egypte d’aujourd’hui. Avec le hashtag "EgyptBetterToday" - comprenez "l’Egypte est meilleure aujourd’hui" – le ministère des Affaire étrangères énumère, chaque jour, sur la page Facebook dédiée à cette campagne de communication, les réalisations accomplies par le gouvernement égyptien depuis la révolution. "Réalisation numéro 5 : le droit de vote pour les Egyptiens expatriés" ou encore "réalisation numéro 8 : des partenariats commerciaux plus divers et plus équilibrés".
Une campagne tout en clichés qui s’inscrit dans la lignée de celle lancée fin 2015, baptisée "This is Egypt" et qui était destinée à attirer les touristes et les investisseurs étrangers, effrayés par l’insécurité dans le pays.
Des arrestations et de la censure. Mais c’est un autre visage de l’Egypte que montrent les associations de défense des droits de l’Homme et les militants. Cinq ans après la chute de Moubarak, des centaines de manifestants et activistes, qui avaient participé aux manifestations de 2011, sont en prison. C’est le cas d’Ahmed Douma, par exemple, condamné à la prison à vie, ou encore Alaa Abdel Fatah condamné à 5 ans de prison pour avoir manifesté contre la loi interdisant les manifestations.
Depuis quelques semaines, des dizaines de pages Facebook ont été créées pour appeler à manifester. Un site d’information indépendant donne d’ailleurs une série de conseils aux activistes pour éviter d’être arrêté pour "activisme en ligne". La police a déjà mené près de 5.000 perquisitions dans le centre-ville du Caire ces deux dernières semaines pour dissuader les égyptiens de descendre dans la rue. "C'est un avertissement pas seulement pour les activistes politiques ou ceux qui voulaient manifester pour l'anniversaire, mais aussi contre tous ceux qui auraient l'idée de protester ou de critiquer publiquement leur politique", confie Emir Nadir, dont trois amis sont détenus depuis le 14 janvier dernier.
Car depuis son arrivée au pouvoir en juin 2014, le président Abdel Fattah al-Sissi a dû faire face progressivement aux critiques de la population. "Sissi a été élu sur une promesse de rétablissement de la sécurité et il a échoué", analyse Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient et chargée de cours à Sciences-Po. "Aujourd’hui, on sent qu’il est fragilisé et donc depuis un an, il a resserré les boulons en réinstaurant un système répressif", ajoute-t-elle.
" Le régime a une phobie du 25 janvier "
"La répression est tellement systématique et aveugle que c'est devenu une guerre contre la jeunesse", précise Emir Nadir. Le jeune homme confie ne pas être très optimiste pour ses amis "pacifistes et pro démocratie. On a le sentiment que le destin de mes amis ne dépend pas des preuves, mais du bon vouloir du ministère de l'Intérieur".
Pour Esraa Abdel Fatah, surnommée "Facebook girl", et qui était parmi les premiers activistes sur la place Tahrir en 2011, "le régime a une phobie du 25 janvier. Pourtant, il n'y a aucune loi qui permet d'arrêter quelqu'un parce qu'il a appelé ou pense participer à une manifestation". La jeune femme, aujourd’hui éditorialiste pour le journal Youm el Sabah, précise "qu’aucun appel sérieux à manifester le 25 janvier n’a été lancé. Aucune organisation n'appelle à descendre dans les rues".
" On ne peut pas pour autant parler d’un retour en arrière "
Mais par crainte de voir les appels, lancés par des citoyens lambdas sur les réseaux sociaux, faire descendre les Egyptiens dans la rue, les autorités ont fait passer des messages clairs dans la presse. Les médias, proches du pouvoir, ont mené campagne pour dissuader les Egyptiens de manifester. Le ministre des Cultes a même déclaré que "ceux qui envisagent de manifester sont des traîtres". Des propos sévères qui traduisent la dureté du régime du président Abdel Fattah al-Sissi.
Mais, pour Agnès Levallois, "on ne peut pas pour autant parler d’un retour en arrière – c’est-à-dire à 2011 - car des déclics ont été franchis. Le mur de la peur est tombé", assure la spécialiste. "La population égyptienne sait qu’elle peut manifester son mécontentement", ajoute-t-elle, précisant que "si dans les mois à venir le président Sissi ne parvient pas à redresser la situation économique du pays, alors la mobilisation pourrait prendre de l’ampleur".