En Afrique du Sud, une partie des quelque 27,6 millions d'électeurs inscrits gardent encore espoir que le Congrès national africain (ANC), qui a libéré le pays du régime de ségrégation raciale, pourra remédier au chômage endémique (33%), mettre fin aux inégalités record et parer aux pénuries d'eau et d'électricité. Mais d'autres expriment leur ras-le-bol et sont décidés à se tourner vers l'opposition, ce qui pourrait mettre péril la majorité de l'ANC aux législatives.
A Soweto, le président Cyril Ramaphosa, 71 ans, a assuré en affichant un large sourire que la victoire de l'ANC ne fait "aucun doute". Tandis que le chef de la principale formation d'opposition (DA), John Steenhuisen, a lui évoqué le début d'une nouvelle ère, après trente ans d'une démocratie où "il allait de soi que l'ANC allait gagner, on se demandait seulement avec quel score". Les Sud-Africains doivent choisir parmi une cinquantaine de listes pour élire 400 députés à la proportionnelle et les assemblées des neuf provinces du pays. La nouvelle Assemblée nationale élue désignera ensuite le prochain président courant juin.
"Rien pour nous"
Quelques bureaux ont ouvert avec retard, a relevé la commission électorale à la mi-journée, mais aucun incident significatif n'a été rapporté. Ils restent ouverts jusqu'à 21 heures. Les résultats définitifs ne sont pas attendus avant le week-end. A Soweto, lieu symbolique de la lutte contre l'apartheid, Agnes Ngobeni, grand-mère de 76 ans, fait peu de mystère de sa loyauté envers l'ANC. Elle a voté "pour le parti que j'aime, celui qui a fait de moi ce que je suis".
L'ANC, "on vote pour eux mais ils ne font rien pour nous", réfute Jeffrey Benzane 75 ans, qui tourne le dos pour la première fois au parti de Nelson Mandela. "Je veux du changement", tranche Danveries Mabasa, chômeur de 41 ans, "on n'a pas de boulot, pas d'eau, rien ne marche". Selon Nkateko Maranele, 29 ans, qui tient une boutique de vêtements dans le township, c'est aux jeunes, massivement touchés par le chômage, de prendre les choses en main et aller aux urnes, au lieu d'"attendre le changement depuis leur lit".
A Nkandla, en pays zoulou (Est), Nokuthobeka Ngcobo, 26 ans, dit fièrement avoir voté pour le petit parti d'opposition (MK) mené par le sulfureux ex-président Jacob Zuma (2008-2019), pour "changer les choses". L'ancien chef d'Etat, candidat à un siège de députés mais déclaré inéligible à quelques jours du scrutin en raison d'une condamnation à la prison en 2021, a voté en début d'après-midi dans son fief. Il ne s'est pas exprimé devant la presse.
"Avenir instable"
Ce scrutin est "sans aucun doute le plus imprévisible depuis 1994", relève l'analyste politique Daniel Silke. En raison d'une désillusion croissante à l'égard de l'ANC, liée à une économie morose et aux nombreux scandales de corruption, le parti historique risque d'obtenir "un résultat potentiellement inférieur à 50%". Il serait alors contraint de former un gouvernement de coalition. Si le score de l'ANC est meilleur qu'annoncé et se rapproche des 50%, il lui suffira de quelques parlementaires issus de petits partis pour maintenir sa ligne générale.
L'Alliance démocratique (DA), qui promet de "sauver l'Afrique du Sud" et son économie, pourrait rafler environ 25% des voix, selon les sondages. Mais la plus grande menace pour l'ANC pourrait provenir du parti MK de Jacob Zuma, qui pourrait séduire jusqu'à 14% des électeurs, capitalisant sur les déçus du parti au pouvoir.
Face à une opposition morcelée, l'ANC devrait toutefois demeurer le premier parti à l'Assemblée, où il détient actuellement 230 sièges sur 400. Mais l'affaiblissement de l'ancien mouvement de libération pourrait plonger le pays dans "un avenir immédiat instable et imprévisible", avertit M. Silke. La participation a baissé au fil des quinquennats, passant de 89% en 1999 à 66% aux dernières élections en 2019.