Pour les artistes qui ont dû quitter leur pays dans la précipitation, l'inspiration a du mal à revenir... Europe 1 les a rencontré, à Berlin.
Depuis la grande migration de 2015, on évoque souvent la question des réfugiés, en France et en Europe. Des millions d’hommes et de femmes définis d’abord par ce statut, d’individus ayant fui leurs pays. Certains d’entre eux se retrouvent parfois, forts d’une autre identité : celle d’artistes. Depuis 2015, l’Allemagne a accueilli environ 1,5 million de réfugiés, dont une majorité de Syriens. Et certains d’entre eux, peu à peu, sont en train de faire naître une scène culturelle et artistique. C’est à Berlin que ça se passe. Reportage.
En quelques années, c'est devenu un des hauts lieux de la culture arabophone de Berlin. Pour arriver au café-concert Zanjabil, il faut se perdre dans une petite zone industrielle, pousser au fond d'une impasse grise. C'est là que les musiciens d'Orphée se retrouvent tous les dimanches pour répéter.
"On ne fait pas de la musique parce que nous sommes des réfugiés !" Quatre Syriens, un Ecossais, un Germano-Palestinien et un Allemand. Leur style : la fusion orientale. Et merci de laisser la politique de côté, demande Nafei le trompettiste : "dès qu'on a commencé à jouer ensemble, c'était un problème de se retrouver sous le nom de réfugiés. On ne fait pas de la musique parce que nous sommes des réfugiés ! Donc on a essayé de sortir de ce qualificatif en ne faisant pas que de la musique syrienne, ou orientale, mais aussi de la musique occidentale, sud-américaine… internationale quoi !"
"On est venus par la mer, donc je savais que cela allait être dangereux pour mon violon". A la trompette, au violon et à l'accordéon, trois copains de Homs. Ils ont partagé une colocation pendant leurs études de musique. La révolution a dispersé les amis. Nafei, qui ne voulait pas faire son service militaire, est parti le premier dès 2012. Les autres ont suivi en 2015, au plus fort de la crise migratoire. Aemam en parle avec pudeur : "on est venus par la mer, donc je savais que cela allait être dangereux pour mon violon. Pour moi aussi, oui… Moi j'ai fait le chemin jusqu'ici, vous savez bien comment, avec tous les autres, et j'ai demandé à quelqu'un de m'envoyer le violon depuis la Turquie. Il est arrivé presque cassé…"
A Berlin, Nafei les attend. Dès le premier soir, avec des instruments chinés aux puces, ils improvisent un concert, avec notamment ce morceau, "Libertango" :
"Acteurs, peintres, écrivains, on a tous été atteints". En Syrie, Aemam a écrit plus de cent versions de ce grand classique d’Astor Piazzola. En Allemagne, il n'y arrive plus : "quand je suis arrivé ici, j'ai commencé par devoir attendre un numéro pendant 21 jours, devant les services d'immigration. 21 jours, juste pour un ticket ! Vous imaginez ça ! C'est à vous rendre dingue ! Psychopathe ! J'ai composé la moitié d'un morceau et j'ai arrêté. Je ne ressentais plus rien. Et cette expérience, je ne suis pas le seul à l'avoir fait. Acteurs, peintres, écrivains, on a tous été atteints. C'était terrible."
Derrière son instrument aux reflets auburn, le joueur d’oud opine. Il connaît trop d'artistes plongés, comme ça, dans l'apathie depuis des mois. Alors pour maintenir en vie leur patrimoine, il va maintenant créer un grand registre de gammes et de rythmes traditionnels. Une bibliothèque de la musique syrienne qui sera soigneusement archivée à l'université de Berlin, où il travaille comme chercheur.