Le sort s’acharne sur Haïti. Dans la nuit de mardi à mercredi, les habitants du quartier où réside le président haïtien Jovenel Moïse sont réveillés par les coups de feu. Très vite, les voisins filment avec leur téléphone portable. Avant de s'enfuir dans leur 4x4, les membres du commando se plantent au milieu de la rue et crient au mégaphone pour calmer les esprits qu'ils sont des agents américains antidrogue. Mais à la suite de cet événement, le président est retrouvé mort à son domicile.
Un désordre politique depuis 1986
Y a-t-il un pays au monde qui peut prétendre avoir un plus mauvais karma ? Il y avait les dix plaies d'Égypte. Plus personne ne compte les malheurs d'Haïti. L'assassinat du président mercredi est l'énième soubresaut d'un système politique qui vit dans le chaos et qui se nourrit du désordre depuis 1986. Le pays a connu une vingtaine de dirigeants. Un seul est arrivé au bout des deux mandats autorisés par la Constitution. Il y a eu des coups d'État, des insurrections armées, des révoltes populaires. "La plupart des présidents haïtiens méritaient d'être chassés du pouvoir parce qu'ils n'étaient pas seulement incompétents : ils étaient soit des bandits qui cherchaient à s'en mettre plein les poches, soit des sanguinaires régnant par la terreur. Certains étaient même tout cela à la fois", analyse notre Grand reporter Jean-Sébastien Soldaini.
Le président assassiné, Jovenel Moïse, a pour sa part laissé les gangs prospérer à Haïti, parfois avec l'appui des policiers locaux. "Le business le plus juteux là-bas, ce sont les enlèvements contre rançon. Mais Jovenel Moïse était bien loin des Duvalier, père et fils. Ils ont mis Haïti en coupe réglée pendant 30 ans. Leurs escadrons de la mort, baptisés les Tontons Macoutes, ont semé la terreur dans tout le pays", poursuit Jean-Sébastien Soldaini. Résultat, dans ce chaos, les forces de l’ordre sont bien occupées. "La police est dans une situation où elle doit affronter les gangs armés qui se battent entre eux ou contre les forces policières", explique à Europe 1 Frantz Duval, le rédacteur en chef du journal Le Nouvelliste à Port-au-Prince. Ce qui n’arrange en rien la situation.
Il n’y a "dans la Constitution haïtienne aucune option pour continuer l’Etat"
Depuis l’assassinat, quatre suspects ont été tués par la police haïtienne et deux arrêtés, mercredi soir. Pour l’heure, la police ne donne pas plus de détails sur l’identité des prévenus ou sur leurs motivations. Selon le rédacteur en chef du journal Le Nouvelliste à Port-au-Prince, cet assassinat intervient alors que les solutions pour remplacer le président sont toutes obsolètes. "Le Parlement devrait se réunir pour trouver une solution mais il se trouve qu’il n’y a pas de Parlement en ce moment. Le Premier ministre aussi pourrait le remplacer, mais il a été changé lundi et le nouveau n’a pas encore été installé", explique-t-il.
Pour faire simple, dans la situation actuelle, il n’y a "dans la Constitution haïtienne aucune option pour continuer l’Etat", poursuit Frantz Duval. Même le président de la Cour de Cassation est "décédé du Covid-19", indique-t-il. Le premier ministre par intérim a déclaré l'état de siège sur tout le territoire. Claude Joseph devait passer la main à son successeur, mais il préfère rester pour le moment aux commandes du pays.