Haro sur les médias indépendants à l’est de l'Europe. Alors que la tendance au musellement des organes de presse se poursuit dans certains pays européens, notamment en Hongrie et en Pologne, Les Carnets du monde, dimanche sur Europe 1, se penchent sur ces gouvernements qui y entachent considérablement la liberté de la presse. Parce qu’ils ne font pas le jeu du pouvoir en place, voire parce qu’ils se montrent critiques à son égard, certaines organisations indépendantes sont mises au pas et cessent même d’émettre, comme dernièrement Klubradio en Hongrie. Plus au nord, en Pologne, une grève sans précédent a été observée par les médias afin de protester contre une taxe qui les fragiliseraient considérablement.
"Le Fidesz ne nous a pas fait taire, au contraire"
En matière de censure et d’autocensure des médias, la Hongrie de Viktor Orban fait figure d’exemple en Europe. Dernière victime en date : Klubradio, la principale radio indépendante du pays. Dimanche dernier, à minuit, celle-ci a cessé d’émettre sur la bande FM. Pour marquer cette rupture, une phrase familière a été glissée à l’antenne en clin d’œil au pouvoir en place. "Nous n’oserions jamais faire taire ceux qui ne sont pas d’accord avec nous." Une phrase prononcée en 2018 par le Premier ministre Viktor Orban au Parlement européen et qui avait provoqué l’hilarité de l’hémicycle.
Après un bras de fer de plus de dix ans, le gouvernement a finalement fait taire Klubradio, principale voix discordante du pouvoir sur les ondes hongroises. Écoutée par près de 200.000 auditeurs chaque jour, cette station d’opposition est connue pour ne pas ménager le gouvernement. Le verdict sur son sort est tombé le 9 février dernier : le Conseil des médias a refusé de prolonger la dernière fréquence de la radio qui avait déjà perdu ses 12 ramifications en province entre 2010 et 2014.
"Cela faisait six ou sept ans qu’il ne nous restait plus que la fréquence de Budapest et elle vient de nous être retirée", affirme Andras Arato, le patron de Klubradio, au micro d’Europe 1. "Sauf qu’en agissant ainsi, le Fidesz (le parti du Premier ministre, NDLR) ne nous a pas fait taire, au contraire, nous avons même gagné des auditeurs qui ne nous connaissaient pas, mais ont entendu parler du scandale."
80% des médias contrôlés
En Hongrie, le sort réservé à Klubradio n’est qu’un énième exemple du processus de musellement des médias depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban. Aujourd’hui, plus de 80% des médias sont aux mains du gouvernement. Les voix critiques se font de plus en plus rare et se sont surtout réfugiées sur internet, comme Telex, lancé en octobre dernier sur les cendres d’un site repris en mai par le pouvoir.
" Les journaux indépendants et les journalistes indépendants sont diabolisés "
"Le gouvernement nous considère comme des ennemis, les politiques du gouvernement ne donnent pas d’interview, ne répondent pas aux questions, n’envoient pas d’invitations à des événements officiels", exprime le rédacteur en chef adjoint de Telex, à Europe 1. "Les journaux indépendants et les journalistes indépendants sont diabolisés par les politiques du Fidesz, et dans les médias proches du gouvernement".
De nombreux journalistes hongrois tombent alors dans l’autocensure, reconnaissant ne pas écrire sur le Premier ministre par peur des conséquences. À l’inverse, d’autres titres ne se gênent pas pour enquêter sur Viktor Orban et ses proches, et les tacler s’il le faut. Parmi eux, Magyar Hang qui, pour paraître en kiosques, doit néanmoins imprimer ses pages en Slovaquie, les imprimeries hongroises ne voulant pas prendre le risque d’être punies par les autorités.
Au classement de la liberté de la presse, publié chaque année par Reporters sans Frontières, la Hongrie continue de s’enfoncer, occupant actuellement la 89e place sur 180. Il y a dix ans, quand Viktor Orban est devenu Premier ministre, elle était 23e.
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En Pologne, une grève des médias sans précédent
En Pologne, le ciel des médias est tout aussi chargé, et le parti conservateur Droit et justice, au pouvoir depuis 2015, ne cesse de s’en prendre à la liberté de la presse. Il y a dix jours, les médias indépendants se sont unis pour observer une grève de l’information sans précédent dans le pays. Ceux-ci protestent contre un nouveau projet d’impôt sur la publicité, une taxe qui fragiliserait considérablement ces médis indépendants.
Les écrans de télévision et les pages des journaux n’affichaient que du noir, et à la radio un petit message était diffusé en boucle sur toutes les stations. Le slogan de cette campagne – suivie par une cinquantaine d’entreprises de presse - "médias sans choix" consiste à montrer comment le paysage médiatique risquerait de se réduire si cette nouvelle taxe était adoptée.
Crédits : Wojtek RADWANSKI / AFP
"On a vu les journalistes des petites villes rejoindre ceux des grands médias du pays, on a vu les journalistes très critiques sur les changements en Pologne depuis l’arrivée du gouvernement conservateur, se lier avec ceux qui jusqu’ici semblaient ne pas s’en soucier", raconte à Europe 1 le rédacteur en chef du grand quotidien national Gazeta Wyborcza. "Cette solidarité est impressionnante et ce qui est frappent est qu’on n’a jamais eu une journée sans média dans l’histoire polonaise, sauf dans l’histoire communiste."
"Repoloniser" les médias
"Le gouvernement polonais semble penser qu’il serait plus tranquille si tous les médias soutenaient ses actions et cela nous inquiète", confesse un membre de l’association Société des journalistes, et ancien correspondant au Financial Times. "Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, en 2015, il a commencé par reprendre le contrôle des médias publics et les transformer en outils de propagande, puis il a dit vouloir agi pour équilibrer la scène médiatique, c’est-à-dire reprendre le contrôle des médias privés qui sont critiques du pouvoir."
" Les autorités ne vont pas nous envoyer la police, mais… "
Le gouvernement, lui, parle de "repoloniser" les médias qui ont des actionnaires étrangers accusés d’influencer les affaires internes de la Pologne. La solution ? Des médias 100% polonais, si possible rachetés par des entreprises d’État. C’est notamment le cas du groupe Polska Press, racheté à la société allemande Verlagsgruppe Passau par le géant pétrolier polonais, PKN Orlen, détenu en partie par l’État polonais et dont le dirigeant est très proche du parti au pouvoir. De quoi inquiéter les journalistes qui redoutent un scénario a la hongroise. "Les autorités ne vont pas nous envoyer la police, mais on n’a jamais eu d’interview du président ou du Premier ministre ; on ne reçoit aucune aide via les publicités d’entreprises d’État ou d’agences du gouvernement ; le pouvoir n’achète pas notre journal ; l’an dernier, le gouvernement a lancé une grande campagne d’information sur la pandémie, partout, sauf dans nos pages", énumère un journaliste à Gazeta Wyborcza.
Le rédacteur en chef précise par ailleurs que, l’an dernier, le gouvernement a lancé des poursuites judiciaires à 60 reprises contre le quotidien. Face à la mobilisation massive des journalistes ces derniers jours, rejoints par l’opposition et une partie de la coalition au pouvoir, le gouvernement de Mateusz Morawiecki a annoncé qu’il allait réécrie le projet d’impôt sur la publicité.