"Médecins sans frontières" a dénoncé vendredi un bain de sang. Mercredi déjà, l'ONU parlait de crime de guerre à Alep, en Syrie. Aucune réponse diplomatique mondiale n'est trouvée pour éviter les milliers de morts, victimes des frappes de l'aviation russe.
D'après les chiffres avancés vendredi par l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), plus de 9.300 personnes, dont 3.800 civils, ont été tuées par les frappes depuis le début - il y a un an - de l'intervention de Moscou en soutien au régime de Bachar al-Assad. Jean-Pierre Filiu, professeur d'histoire du Moyen-Orient à Sciences-Po Paris et spécialiste de l'islam contemporain, était l'invité de C'est arrivé cette semaine, samedi, pour analyser la situation.
Désengagement américain. En ce moment même, à Alep, se joue "le sort de notre monde", souffle avec gravité le spécialiste. "Depuis quelques jours, on est entré dans autre chose. Alep n'est pas sur une autre planète, c'est un berceau de l'humanité. Le droit humanitaire a disparu. Il n'est pas violé, il est terrassé sous une machine de guerre menée depuis le Kremlin par un des membres permanents du Conseil de sécurité (de l'ONU)."
Si les faits sont dénoncés, aucun auteur n'est spécifiquement nommé. "On le sait, mais les preuves ne sont ni aux mains de la France ni aux mains de l'ONU mais aux mains des Etats-Unis. On s'est trouvé dans la même situation en août 2013 lorsque Bachar al-Assad avait utilisé les armes chimiques contre sa population. Les Américains avaient documenté ce crime contre l'Humanité mais n'avaient pas voulu mettre tout sur la table parce qu'ils ne voulaient pas intervenir", commente Jean-Pierre Filiu.
La responsabilité des récentes attaques incombe davantage à la Russie qu'à la Syrie, souligne le spécialiste. "Le premier de ces crimes de guerre qu'est le bombardement d'un convoi humanitaire de l'ONU et de la Croix-Rouge internationale dans la nuit du 19 au 20 septembre à l'ouest d'Alep a donc été effectué de nuit. Or l'aviation d'Assad n'a pas de moyens de bombardements nocturnes... C'est la Russie qui est aux commandes de cette opération qui rappelle, en pire, la technique de guerre employée pour écraser la Tchétchénie, alors que Poutine était déjà président."
L'idéologie de Poutine. Difficile alors de comprendre l'acharnement, d'autant qu'il n'y a plus de combattants de Daech à Alep depuis janvier 2014, après la révolution lancée par les militants syriens "pour se débarrasser des djihadistes qu'ils mettaient sur le même plan que le régime Assad. Il y a un an, Vladimir Poutine a exprimé sa vision du monde à l'ONU. C'est sa guerre globale contre la terreur. Elle est aussi idéologique que celle de George W. Bush. Tout ennemi de la Russie ou de ses alliées est un terroriste."
"Showroom". Le combat contre la population syrienne ne s'arrêtera, pense Jean-Pierre Filiu, que quand Poutine sera stoppé dans son élan. "Il s'engouffre dans le vide béant laissé par Obama dans son retrait désordonné hors du Moyen-Orient. Grisé par sa puissance, Poutine mène une guerre froide à sens unique. Son industrie militaire se sert de la Syrie comme d'un showroom, avec utilisation d'armes prohibées et démonstrations avec des bombes au phosphore, à souffle, que l'industrie russe est performante. Les exportations atteignent un niveau sans précédent."