Une fois par semaine, Ensaf reçoit un coup de téléphone. "Cela peut être à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit." C’est son mari, Raïf, qui prend des nouvelles d’elle et de leurs trois enfants, depuis la prison de Djeddah où il est emprisonné.
Un coup de fil au cours duquel le blogueur saoudien - condamné à 10 ans de prison et à 1.000 coups de fouet - ne livre aucun détail sur ses conditions de détention ou sur l’état de son moral. Ces conversations, Ensaf les attend toujours avec autant d’impatience et de crainte.
"Je sais qu’il est déprimé car il est loin de ses enfants", confie-t-elle à Europe 1. "Mais il ne se plaint jamais et ne dit rien sur ses conditions de détention. Il me dit que s’il appelle, c’est pour avoir de mes nouvelles", ajoute-elle.
Échapper au poids de la famille
C’est au téléphone qu’Ensaf et Raïf se sont connus, au début des années 2000, alors qu’elle n’était encore qu’étudiante, vivant chez ses parents dans la ville de Jizan, dans le sud-ouest de l’Arabie saoudite. Après des mois de conversations secrètes et de SMS, contre l’avis de ses parents, la jeune fille décide d’épouser ce jeune entrepreneur dans le BTP.
Mais face à la pression des proches d’Ensaf qui tentent de s’immiscer dans le moindre recoin de leur vie quotidienne, le couple décide rapidement de quitter Jizan pour Djeddah, une plus grosse ville, où ils seront tranquilles. Raïf laisse alors tomber son affaire dans le bâtiment et ouvre un institut de formation à Internet.
Les pressions se sont accentuées, jusqu’à la fatwa
Quatre ans après leur mariage, en 2006, Raïf créé un site Internet sur lequel il commence à publier des articles dans lesquels il critique la rigidité du système saoudien et appelle à la libéralisation du royaume. "Au début, j’étais contre cette idée, puis j’ai compris l’importance que cela représentait pour Raïf d’exprimer et de défendre ses idéaux", explique la jeune femme.
Raïf lit de plus en plus. Il s’intéresse aux Lumières, à la Révolution française, à l’histoire de l’Europe moderne. C’est à ce moment-là qu'il éveille les soupçons de la police religieuse. L’année qui suit la création de son blog, les autorités lui confisquent son ordinateur. "Les pressions se sont accentuées de plus en plus jusqu’à ce jour de 2011, quand une fatwa a été lancée contre lui, l’accusant d’apostasie", se souvient Ensaf. "Raïf m’a donc demandé de quitter le pays avec les enfants. Lui n’avait pas le droit de voyager. Je suis donc partie m’installer au Québec."
" S’il se voyait accorder la nationalité française peut être que nous verrions une issue à son calvaire "
Depuis trois ans maintenant, depuis que son mari a été arrêté et condamné à dix ans de prison et 1.000 coups de fouet, Ensaf se bat pour que Raïf soit libéré et puisse rejoindre sa famille au Canada. "Mon mari n’est ni un terroriste, ni un criminel, juste un homme qui a exprimé ses idées, c’est pourquoi je demande au roi Salmane de bien vouloir le gracier", réclame la jeune femme.
Ensaf Haidar appelle le gouvernement français "à aider Raïf par tous les moyens. S’il se voyait accorder la nationalité française ou un passeport blanc alors peut-être que nous verrions une issue à son calvaire", conclut la jeune femme.
Ensaf Haidar publie Mon combat pour sauver Raïf Badawi, aux éditions de l’Archipel, 280 pages, 20 euros.