Le premier a été intercepté lundi, à New York, au domicile du philanthrope américain George Soros. Mardi soir, rebelote devant la porte de Bill et Hillary Clinton. Mercredi, ce sont trois autres personnes qui ont été visées par l'envoi de colis piégés : l'ancien président Barack Obama, et les élues démocrates Debbie Wasserman Schultz et Maxine Waters. Un autre paquet, adressé à l'ancien directeur de la CIA John Brennan, est arrivé dans les bureaux new-yorkais de la chaîne d'information CNN. Enfin, la police new-yorkaise a rapporté jeudi matin que des colis suspects avaient été envoyés à l'acteur Robert de Niro et l'ex-vice-président Joe Biden.
Engins explosifs. À chaque fois, une même découverte : ces envois contiennent un engin explosif artisanal. Les autorités ont pu le désamorcer et éviter toute blessure. Si, pour le moment, l'émissaire n'a pas été identifié, les cibles de ces colis ont un point commun : ce sont toutes des adversaires de Donald Trump. Les deux anciens présidents et l'ancienne candidate à la présidentielle 2016, Hillary Clinton, sont démocrates. C'est aussi le cas de Debbie Wasserman Schultz et Maxine Waters, qui font partie des figures politiques critiquant le plus vertement le président américain. Le philanthrope George Soros, lui, est un milliardaire connu pour être l'un des principaux donateurs des démocrates. John Brennan est un adversaire notoire du président, qui pointe régulièrement l'ingérence russe dans la présidentielle de 2016. Quant à Robert de Niro, il ne mâche jamais ses mots envers le président américain.
" Pour un pays déjà sur la brèche, rongé par des rancœurs partisanes, ces tentatives d'attaque marquent un tournant inquiétant. "
Dès lors, l'acte semble politique. En pleine campagne des midterms, ces élections de mi-mandat qui se tiennent le 6 novembre et permettent de renouveler la Chambre des représentants et un tiers du Sénat, l'affaire des colis piégés hystérise les débats.
"Un tournant inquiétant". Ces paquets "sont envoyés cette semaine à certaines des figures démocrates les plus dénigrées", note le New York Times. "Pour un pays déjà sur la brèche, rongé par des rancœurs partisanes surchauffées et divisé sur des questions aussi simples que ce qui sépare les faits et la fiction, ces tentatives d'attaque marquent un tournant inquiétant."
Les premières réactions, pourtant, ont été des tentatives d'apaisement. Sarah Sanders, la porte-parole de Donald Trump, tout comme le vice-président Mike Pence, ont immédiatement dénoncé l'envoi des colis piégés. En milieu de journée mercredi, le président lui-même a martelé que "les actes et les menaces de violence politique n'ont pas leur place aux États-Unis d'Amérique". "Dans des moments comme celui-ci, nous devons nous rassembler", a-t-il souligné.
Reproches et accusations. Mais dès mercredi soir, lors d'un meeting dans le Wisconsin, Donald Trump a changé de ton. Et appelé les médias à "cesser les hostilités sans fin et les histoires et attaques négatives constantes, et souvent fausses. Ils doivent arrêter". Jeudi matin, le président a poursuivi sur Twitter : "une grosse part de la colère que l'on observe aujourd'hui dans notre société est causée par la couverture volontairement erronée et fausse des médias mainstream que j'appelle les fake news. C'est si mauvais et si détestable que cela dépasse tout ce qu'on peut décrire. Les médias mainstream doivent changer d'attitude, VITE !"
A very big part of the Anger we see today in our society is caused by the purposely false and inaccurate reporting of the Mainstream Media that I refer to as Fake News. It has gotten so bad and hateful that it is beyond description. Mainstream Media must clean up its act, FAST!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 25 octobre 2018
Jeff Zucker, le président de CNN, a immédiatement accusé la Maison-Blanche "d'incompréhension totale face à la gravité de ses attaques continues contre les médias". "Le président, et surtout la porte-parole [Sarah Sanders] doivent comprendre que les mots ont une importance", a-t-il écrit dans un communiqué.
Statement from CNN Worldwide President Jeff Zucker: pic.twitter.com/OXyIT6oSLT
— CNN Communications (@CNNPR) 24 octobre 2018
De leur côté, les démocrates ont accusé Donald Trump de mettre de l'huile sur le feu. Son appel au rassemblement ? "Il sonnera creux jusqu'à ce qu'il revienne sur ses déclarations cautionnant des actes de violence", ont écrit deux parlementaires dans un communiqué. "De façon répétée, le président cautionne la violence physique et divise les Américains avec ses mots et ses actes".
Rhétorique complotiste. Certains commentateurs conservateurs ont rapidement crié au complot, expliquant que la gauche pouvait très bien être l'émissaire des colis piégés afin d'accuser ensuite les Républicains. Rush Limbaugh, éditorialiste politique et animateur de radio, a profité de son émission écoutée par près de 14 millions de personnes chaque semaine pour s'en prendre à Hillary Clinton. "C'est votre parti, pardonnez-moi, qui encourage ce genre de choses. C'est le parti démocrate qui abrite tous ces voyous." L'éditorialiste a également prétendu que l'affaire des colis piégés avait été déclenchée afin de détourner l'attention de la "caravane" de migrants honduriens qui se dirige actuellement vers les Etats-Unis, et que Donald Trump utilise dans ses discours comme un repoussoir.
" Les gens se sentent encouragés à attaquer les gens qui votent pour l'autre camp. C'est un virus de notre société. "
Le conspirationniste d'extrême droite Alex Jones, sanctionné à plusieurs reprises pour des propos diffamatoires et/ou complotistes par YouTube et Facebook, a clairement accusé les démocrates et leurs alliés. "Cela les présente comme des cibles pour qu'ils puissent pleurer, gémir et avertir : 'si Trump n'arrête pas, nous allons nous faire tuer'", a estimé Alex Jones.
Le "virus" de la violence. Carolyn Lukensmeyer est directrice du National Institute for Civil Discourse, un centre de recherche "apolitique" rattaché à l'université de l'Arizona qui promeut des débats politiques "sains". Dans le New York Times, elle estime que désormais, "les gens se sentent encouragés à attaquer les gens qui votent pour l'autre camp. C'est devenu 'si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi. Mais tu n'es pas seulement contre moi, tu es aussi dangereux'. C'est un virus de notre société."
De son côté, le magazine américain The Atlantic souligne que ce genre d'incidents "illustre comment des tentatives de violence, même ratées, peuvent semer la terreur bien au-delà des cibles directes". "En raison de l'étendu du système postal américain, cette tactique consistant à envoyer des armes est particulièrement efficace pour nourrir la peur. Comme tout système complexe, les services postaux sont impossibles à sécuriser complètement. Les attaques sont rares, et dans la majorité des cas désamorcées, mais elles créent la perception que n'importe qui pourrait être la prochaine" cible. À moins de deux semaines des midterms, l'impact exact d'un tel climat est difficile à évaluer. Mais ce qui est certain, c'est qu'il nuit gravement à tout débat politique apaisé.