Ils s'attendaient à visiter un pas de tir de missile balistique et ont finalement assisté à l'inauguration d'un complexe résidentiel flambant neuf. Deux cent journalistes du monde entier ont été invités à Pyongyang jeudi pour assister à ce qui devait être un événement "majeur". Le contexte international de tensions laissait penser à une démonstration de force, mais c'était sans compter sur le plan de communication domestique de la Corée du Nord.
Un contexte propre à la Corée du Nord. "Les Nord-Coréens ont leur propre agenda de communication et ce sont des champions de la propagande depuis 60 ans. Nous n'avons rien à leur apprendre", assure à Europe1.fr Dorian Malovic, journaliste auteur de La Corée du Nord en 100 questions (éd. Tallandier). Et ce mois d'avril est un moment de célébrations et de glorification du pays. C'est dans ce contexte que s'est déroulée l'inauguration d'un complexe résidentiel de 5.000 logements modernes et que se tiendra samedi un défilé militaire à la gloire du 105ème anniversaire de la naissance du fondateur du pays, Kim Il-Sung.
Une communication d'abord domestique. Ces célébrations ont pour but de montrer aux Nord-Coréens qu'en dépit des sommes colossales investies dans l'arsenal militaire, le régime continue d'investir dans l'amélioration de la vie quotidienne de la population. "La présence de Kim Jong-Un [le dirigeant du pays] prouve que c'est un événement très important pour la population et le régime. Le 'cher leader' veut montrer qu'il continue de moderniser le pays", analyse le spécialiste qui rappelle qu'avec cet événement, "la Corée du Nord s'adresse d'abord aux Nord-Coréens".
Les journalistes ont ainsi été conviés non pas pour rapporter ce qu'ils ont vu, mais pour montrer aux Nord-Coréens que "le monde entier" leur prête attention. Des images de cette foule d'étrangers qui vont tourner en boucle toute la journée sur les télévisions nationales. Ce moment de concorde nationale étant une manière de promouvoir "l'unité du pays face à un environnement hostile", précise Dorian Malovic.
"Une image de calme et de développement". Car les relations entre la Corée du Nord et les autres pays restent très tendues. Les États-Unis ont dépêché dimanche un groupe aéronaval vers la péninsule en réponse à une forte activité sur un site sensible nord-coréen qui laisse présager qu'un sixième essai nucléaire se préparerait. Face à ce déploiement de forces de part et d'autre du Pacifique, Pyongyang chercherait à "projeter une image de calme et de développement" avec cette inauguration, assure à Europe1.fr François Godement, directeur du programme Chine et Asie de l'ECFR (Conseil européen des relations internationales).
"Le régime a l'habitude des contre-pieds". Il ne cherche pas à apaiser les tensions, mais plutôt à "équilibrer la perception internationale de la Corée du Nord en montrant les réalisations du régime", analyse le spécialiste. En inaugurant en grande pompe le troisième complexe de ce genre en trois ans, Pyongyang cherche à mettre en avant sa modernité et sa capacité à présenter une capitale qui égale les autres grandes villes asiatiques.
La démonstration de force, "un deuxième volet de communication". Une vision apaisée de la situation en Corée du Nord à laquelle il ne faut pas se tromper. On peut supposer que le régime ne manquera pas de faire une démonstration de son équipement militaire lors du défilé de samedi. "Pendant ce défilé, ils pourront montrer ce qu'ils possèdent déjà comme missiles voire en dévoiler un nouveau qui pourrait atteindre les côtes américaines", prévoit Dorian Malovic. Car après avoir servi des intérêts internes, la présence de journalistes du monde entier pourrait servir aussi la propagande militaire du pays. "Cela serait une sorte de deuxième volet de communication", conclut le journaliste.