INFORMATION EUROPE 1 - Coupe du monde 2022 : nouvelle plainte contre Vinci pour travail forcé au Qatar

  • Copié
Salomé Legrand, édité par Margaux Lannuzel , modifié à
Quatre ans avant le Mondial 2022, le groupe de BTP est visé par une nouvelle plainte étayée par les témoignages d'au moins six victimes. Europe 1 a pu les consulter.
INFO EUROPE 1

"Beaucoup décrivent des collègues qui sont tombés d’un coup d’une crise cardiaque, qu’on enregistre chez Vinci comme des morts naturelles", souffle Marie-Laure Guislain. Responsable du contentieux au sein de Sherpa, la jeune femme a recueilli des témoignages capitaux dans l'affaire des conditions de travail des ouvriers employés par le groupe de BTP français au Qatar, qui a engagé des travaux colossaux en vue de l'organisation de la Coupe du monde de football 2022. C'est en s'appuyant sur ces récits que l'association dépose plainte jeudi contre Vinci notamment pour "travail forcé", "réduction en servitude", "traite des êtres humains", "mise en danger délibérée de la vie d’autrui", "salaires inadaptés" et recel de délits mentionnés, en espérant obtenir des résultats : en 2014, une première plainte avait déjà été classée sans suite… faute de victimes identifiées.

"50 degrés au soleil, sans protection contre la chaleur". Cette fois-ci, selon les informations d'Europe 1, ce sont au moins six employés qui ont accepté de témoigner. Tous ont été employés sur les chantiers de Vinci après la désignation du Qatar comme pays organisateur de la Coupe du monde 2022. "Les travailleurs indiens, népalais, bangladais, travaillent jusqu'à 77 heures par semaine - bien au-delà de la limite légale qatarie -, sous 50 degrés au soleil, sans protection contre la chaleur", décrit Marie-Laure Guislain. "Ces personnes sont dans une dépendance économique telle qu'elles acceptent des conditions de travail que toute autre personnes refuserait."

Europe 1 a pu consulter les témoignages joints à la plainte, qui font état de parcours similaires. En Inde et au Népal, les hommes recrutés ont vent des "offres d'emploi" au Qatar via des agences et partent généralement dans l'espoir de pouvoir envoyer de l'argent à leur famille. A leur arrivée, ils sont pris en charge et conduits dans des "camps" de travailleurs. "Je me souviens qu'une personne de QDVC (la filiale de Vinci au Qatar) a pris les passeports de tout le monde", témoigne un mécanicien indien de 57 ans. "On m'a dit que je pourrais revenir en Inde au bout de deux ans, et pendant 42 jours."

Entendu sur europe1 :
J'ai commencé à avoir des problèmes cardiaques, je pense que c'était à cause des émanations du pétrole

"Nous n'avions pas de masque à oxygène". Sur les chantiers qataris, les ouvriers travaillent onze heures par jour, souvent sept jours sur sept. "On m'assignait un travail, et, aussitôt qu'il était terminé, on m'assignait une autre tâche", raconte un plombier de 42 ans, chargé de "retirer l'eau du sol" à 30 mètres de profondeur, pour préparer l'installation d'une ligne de métro. "J'ai commencé à avoir des problèmes cardiaques, je pense que c'était à cause des émanations du pétrole." Sous une chaleur accablante, l'ouvrier n'était équipé que de "petits ventilateurs de tables". "Il est évident que si vous deviez aller aussi profondément, vous auriez des problèmes respiratoires. Nous n'avions pas de masque à oxygène." Au bout de deux ans, lui a entrepris le fameux voyage de "vacances" vers l'Inde. A son retour, même traitement : "je devais rendre mon passeport si je voulais la clé de mon dortoir dans le camp."

Lits superposés avec quatre à six ouvriers par chambre, salles de bains partagées par des dizaines de personnes, salaire dérisoire (1.250 à 2.700 riyals, soit 300 à 650 euros, "moins de 2% du salaire moyen d'un Qatari" insiste Marie-Laure Guislain)... Auprès d'Europe 1, Vinci réfute "toutes les allégations" de l'association, affirmant notamment que "les passeports n'ont jamais été confisqués" et que les ouvriers disposent d'une douche pour quatre. Quant aux conditions de sécurité, le groupe indique qu'"aucun accident grave lié à la chaleur n'a été constaté" et que quatre médecins et dix infirmiers sont disponibles 24 heures sur 24 pour 1.500 ouvriers. 

Les témoins interrogés reconnaissent une légère amélioration après la plainte classée sans suite en 2014, qui aurait notamment poussé le groupe à appliquer de meilleures consignes de sécurité et à rendre les passeports, ce que n’ont toujours pas fait ses sous-traitants. "Les faits qui caractérisent les infractions ne sont pas prescrits pour autant", balaye la responsable du contentieux de Sherpa. "Et quand bien même Vinci aurait amélioré ses conditions de travail, malheureusement les témoignages décrivent encore une situation très problématique et en violation de la loi française."