Dans l’instruction qui concerne les activités de Lafarge en Syrie, huit personnes ont été mises en examen notamment pour financement du terrorisme. L’entreprise elle aussi pourrait être mise en examen tout prochainement, en tant que personne morale. L’association Sherpa qui a révélé les faits, demande à ce que les chefs de complicité de crime contre l’humanité et complicité de crimes de guerre soient retenus. Elle a fourni aux juges d’instruction une note qu’Europe 1 a pu consulter, pour les convaincre.
Dans cette note de 15 pages, Sherpa s’attache d’abord à démontrer que l'État islamique a bien commis des crimes contre l’humanité : exécutions, enlèvements, violences sexuelles, actes de torture… Les "attaques ont été généralisées et systématiques", écrivent les juristes de l’association, tant contre les civils que contre les minorités, kurdes, chrétiennes et yézidies notamment.
"Des actes positifs de complicité". Deuxième point : Lafarge a "produit des actes positifs" de complicité, notamment en versant de l’argent aux djihadistes, y écrit Sherpa. Certains de ses dirigeants l’ont reconnu au cours de leurs auditions, plusieurs dizaines de milliers d’euros entre 2012 et 2015. De surcroit, l'ONG ajoute un nouveau champ qu’elle aimerait voir investigué par les juges au travers de cette mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité : la vente du ciment de l’usine à des membres du groupe Etat islamique, des faits graves en violation complète des embargos internationaux.
Enfin, la note insiste sur le fait que Lafarge savait que de tels crimes étaient commis, aux abords directs de l’usine et même à l’encontre de ses propres salariés, plusieurs fois victimes d’enlèvements. Or écrivent les juristes dans le document : "La cour de cassation (décision du 23 janvier 1997) n’exige pas du complice de crimes contre l’humanité qu’il ‘adhère à la politique d’hégémonie idéologique des auteurs principaux’. Il n’est pas non plus nécessaire que le complice ‘connaisse le crime précis qui est projeté et qui est effectivement commis‘".
"La reconstruction de la Syrie passera par-là". Ainsi, d’après Sherpa, la mise en examen de cette multinationale pour complicité de crime de guerre en Syrie est juridiquement fondée et serait hautement symbolique. La note insiste sur les différentes résolutions du Sénat (6 décembre 2016) et du Parlement européen (15 mars 2018) qui soulignent "qu’il ne doit y avoir ni la moindre tolérance ni d’impunité pour les crimes horribles perpétrés en Syrie". "Pour prévenir ce genre de complicité de crimes à l’avenir, il nous paraît indispensable que les multinationales sachent que leur responsabilité peut être mise en cause", martèle au micro d’Europe 1 la responsable du contentieux chez Sherpa Marie-Laure Guislain qui insiste : "non seulement la reconstruction de la Syrie passera par-là, mais des milliers d’autres victimes de conflits armés dans lesquels des multinationales sont impliquées attendent aussi réparation".