La comparaison est si facile qu'elle a été faite à l'envi, et jusqu'à l'overdose. En rencontrant, vendredi midi, le chancelier autrichien Sebastian Kurz, Emmanuel Macron accueillerait son alter-ego. Un autre "wunderwuzzi" [enfant prodige] de la politique, parvenu au pouvoir avant ses 40 ans (Kurz a même fait mieux en s'emparant de la chancellerie à 31 ans, quand Macron en avait déjà 39 à son arrivée à l'Élysée). Un autre homme courtois, poli et présentant bien, passé maître dans l'art de la séduction si utile en politique.
Et pourtant. Si ce n'est la fulgurance du parcours, tout sépare Sebastian Kurz d'Emmanuel Macron. Le second a affronté Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle, tandis que le premier a décidé de faire une coalition avec le FPÖ, le Parti de la Liberté d'extrême droite autrichien. Quand Emmanuel Macron défendait la politique d'ouverture d'Angela Merkel à l'égard des réfugiés, Sebastian Kurz s'y opposait sans ambigüité et appelait, en tant que ministre de l'Intégration et des Affaires étrangères, à fermer les frontières de son pays.
Deux pro-européens. Des divergences qui devraient les séparer. Pourtant, Emmanuel Macron a fait le choix, dès l'élection de Sebastian Kurz, de miser sur une alliance plutôt qu'une confrontation. Pas question, pour Paris, de stigmatiser Vienne, et pour cause. Le président français espère bien s'allier avec son homologue autrichien sur un sujet qui lui tient à cœur : l'Union européenne. En face, Sebastian Kurz n'y est pas indifférent. Sa visite vendredi était d'ailleurs son premier déplacement en tant que chef d'Etat. Un "signal fort et un engagement clair", s'est félicité Emmanuel Macron.
Si le chancelier autrichien entend mener une politique bien plus conservatrice que chef d'État français, il se dit tout aussi attaché à l'Union européenne. "Nous sommes un pays clairement pro-européen et je suis un pro-européen convaincu", a-t-il de nouveau martelé dans Le Figaro cette semaine. "Nous avons un programme de gouvernement clairement pro-européen." Une façon de rappeler qu'en effet, lorsqu'il s'est allié au FPÖ, Sebastian Kurz a bien veillé à garder la main sur les affaires européennes.
" Un pays comme le nôtre peut créer des ponts en Europe pour y réduire les tensions. "
L'Autriche pour "créer des ponts" en Europe. Par ailleurs, "l'Autriche n'est pas membre du groupe de Visegrad et cela restera ainsi", a assuré le chancelier. Ce groupe rassemble pour l'instant la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie. Des pays qui s'opposent frontalement aux Européens de l'Ouest sur des sujets comme la répartition des migrants ou les travailleurs détachés. Et reçoivent, en échange, de virulentes critiques sur les menaces qui planent, chez eux, sur les libertés fondamentales. Pour Emmanuel Macron, garder l'Autriche avec lui face au groupe de Visegrad est un atout considérable. "Un pays comme le nôtre peut créer des ponts en Europe pour y réduire les tensions", a confirmé Sebastian Kurz.
Entente sur le numérique. Sur d'autres sujets aussi, Emmanuel Macron peut s'entendre avec le chancelier autrichien. En matière de fiscalité numérique par exemple, tous deux sont favorables à une plus grande sévérité à l'égard des groupes comme Google ou Facebook qui, pour reprendre les propos de Sebastian Kurz au Figaro, "réalisent des profits en Europe" et doivent donc "payer des impôts en Europe". Les deux chefs d'État se rejoignent sur la nécessité de créer de "grands groupes dans le domaine du numérique à côté des entreprises américaines ou asiatiques".
Pragmatisme partagé. Enfin, Sebastian Kurz et Emmanuel Macron font preuve du même pragmatisme en matière d'intégration européenne. Selon eux, espérer renforcer cette intégration à 27 est illusoire. Mieux vaut se contenter, sur certains sujets, d'emporter l'adhésion d'un noyau dur, quitte à créer une Europe à deux vitesses. Cela "peut parfois être une nécessité dans certains domaines", a ainsi reconnu Sebastian Kurz, tout en précisant qu'il ne "voit pas cette idée comme une vision positive pour l'avenir". "L'Europe doit se concentrer sur des questions essentielles, comme la politique de défense ou de sécurité, et y renforcer son action."
Se concentrer sur la "politique de défense". Toute la question est de savoir ce que Sebastian Kurz entend par "politique de défense". Car Emmanuel Macron, lui, est très ambitieux sur le sujet. En septembre dernier, dans un long discours devant des étudiants de la Sorbonne, il avait plaidé pour une "initiative européenne d'intervention" à l'extérieur. Le président français s'était dit désireux d'"accueillir dans nos armées nationales des militaires venant de tous les pays européens volontaires". Il avait également prôné la création d'un "parquet européen contre la criminalité organisée et le terrorisme". Rien ne dit que Sebastian Kurz voit aussi loin.
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Sécurité et immigration. L'autre volet de ces "questions essentielles" identifiées par le chancelier autrichien, celui de la sécurité, risque d'ailleurs fort de l'éloigner d'Emmanuel Macron. De fait, le conservateur de 31 ans lie clairement cette problématique à celle de "la radicalisation, le terrorisme et l'immigration illégale". Dans son interview au Figaro, il estime "urgent et nécessaire que l'Europe soit en mesure de décider qui peut arriver chez elle". Un discours qui tranche avec celui du candidat Macron, bien plus ouvert. Reste à savoir si, maintenant qu'Emmanuel Macron est président et que sa politique migratoire s'est de facto révélée bien moins ouverte que promis, un point d'accord est possible.
L'Autriche prudente sur la zone euro. Enfin, sur les thèmes économiques, Emmanuel Macron risque aussi de se heurter à quelques réticences autrichiennes. Le président français plaide pour un Parlement de la zone euro, qui aurait un budget dédié. Sebastian Kurz reconnaît certes qu'il est "nécessaire de renforcer la zone euro", mais rappelle que "le plus important est de respecter les règles existantes". Une position prudente, proche de celle de l'Allemagne.
Volontarisme commun. Tout l'enjeu de la rencontre vendredi entre les deux hommes était donc de trouver des points de convergence suffisamment solides pour en oublier les fossés qui les séparent parfois. "Je constate que nous avons des vraies communautés de vues sur des éléments de convergence fiscales et sociales, l'ambition d'avoir un marché du numérique et une fiscalité du numérique qui réponde à la compétitivité de notre Europe", s'est félicité Emmanuel Macron vendredi après-midi. "Il y a beaucoup de points sur lesquels le volontarisme européen est présent." Reste à savoir si le volontarisme affiché sera suivi d'effets.